circonstances, parole trop modeste, qui contient pourtant une part de vérité. S’il est permis à M. Deschanel de faire abstraction des brillantes qualités de talent et de caractère qui lui ont valu l’estime et la confiance de ses collègues, ceux-ci ne les ont pas oubliées dans le scrutin du 21 mai. Toutefois, il a eu raison de dire que les circonstances l’avaient aidé. Le parti radical-socialiste manque d’hommes et par surcroît de malheur, — malheur pour lui, bien entendu, — il s’est divisé. Lorsque s’est produite la mort inopinée de M. Brisson, on a parlé tout de suite de M. Delcassé pour lui succéder et, pendant quelques semaines, il a paru être le candidat du parti radical-socialiste. Il aurait été le meilleur possible, s’il n’avait pas été ministre, car il est populaire à la Chambre, il y est aimé ; ceux mêmes qui ne sont pas de ses amis politiques savent qu’il est dénué de tout esprit sectaire et qu’il fait des rêves de bon Français ; beaucoup de sympathies l’entourent. Mais, nous le répétons, il est ministre et on aurait créé un précédent très dangereux si on avait pris un membre du Cabinet pour le porter au fauteuil de la présidence. M. Delcassé se devait d’ailleurs à la tâche qu’il a entreprise et dans laquelle il a réussi : la marine a confiance en lui et ne l’aurait pas vu partir sans regret. Lorsqu’on a l’honneur, dans les circonstances actuelles, d’être ministre de la Marine, ou de la Guerre, ou des Affaires étrangères, c’est un devoir de ne pas abandonner son poste. Aussi M. Delcassé n’a-t-il pas posé sa candidature, mais il n’a pas déconseillé à ses amis de le faire à sa place et s’est mis à leur disposition. C’était trop ou pas assez : trop, si on tient pour justes les observations qui précèdent ; pas assez, si on se place au point de vue d’une candidature qui ouvre une bataille et ne peut aboutir qu’à la condition d’être ouvertement et fortement soutenue. Si M. Delcassé avait donné sa démission de ministre et s’était mis à la tête de son parti, il aurait très vraisemblablement réussi. Il est resté dans une situation intermédiaire, amphibie, un peu équivoque, et il a échoué. On ne suit que ceux qui marchent. M. Delcassé est resté immobile et son attitude a permis à d’autres candidatures radicales de se produire à côté de la sienne. Le parti radical-socialiste se compose de plusieurs groupes que nous ne désignerons pas par leurs noms : nos lecteurs s’y perdraient. Chacun d’eux a désigné un candidat, celui-ci M. Georges Cochery, celui-là M. René Renoult qu’on ne s’attendait guère à voir en cette affaire, et M. Delcassé, qui observait de loin la manœuvre, ne s’est pas mépris sur le danger qu’elle présentait : il a déclaré aussitôt qu’il n’était pas candidat. Toutes ces intrigues jettent un jour plus intéressant qu’édifiant sur
Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 9.djvu/714
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.