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de l’armée devina cette tactique et passa outre. « Nous ne saurions, — déclarait son rapporteur, — subordonner Aujourd’hui la loi de recrutement si impatiemment attendue par le pays, si juste dans tous ses principes et dans son application, à une loi des cadres et des effectifs qui n’est encore qu’à l’étude. » La Chambre approuvant, la loi des cadres fut renvoyée à d’autres calendes, et nous eûmes tout de suite la loi du 21 mars 1905.

« Cependant, il est évident que les deux lois sont connexes, » écrivait peu après le général Langlois dans ses Questions de défense nationale ; et il ajoutait : « La séance de la Chambre où lut voté hâtivement et sans discussion le texte du Sénat ne laisse aucun doute : la préoccupation électorale était le principal souci de nos législateurs... » Dans cette même pensée dominante, ils disjoignaient les deux lois, non par inadvertance et faute de système, mais précisément parce qu’elles étaient connexes. L’examen de l’une aurait trop bien fait voir ce qu’il y avait eu de spécieux dans la présentation de l’autre, et quelles difficultés pratiques on rencontrerait dans l’application, dès qu’on s’écarterait des hauteurs du pacifisme où le rapporteur de la loi s’était tenu : « Sans doute, il n’est pas défendu d’espérer que, dans un avenir que nous voudrions croire prochain, les idées de justice internationale et d’arbitrage préconisées à la Conférence de la Haye ayant enfin franchi les sphères platoniques où elles s’attardent jusqu’ici, entreront dans le domaine des réalités vivantes et permettront de réduire cet état militaire de paix auquel la vieille Europe semble condamnée aujourd’hui. Notre société, qui évolue maintenant de plus en plus vers la paix, ne doit pas perpétuer les organismes des sociétés anciennes conçues pour la guerre. »

C’est par ces faux-fuyans qu’on éludait les objections positives portées à la tribune même par les adversaires du projet. Plutôt que de reconnaître que la réduction de la durée du service nous mena( : ait d’une réduction de notre état militaire, on invitait le monde à désarmer tout d’abord. On faisait la leçon <à l’Europe, au lieu de dire la vérité au pays.

Cependant, la disjonction même des deux lois pouvait avoir des avantages. Elle laissait le loisir, si on l’eût voulu, de préparer une loi organique d’ensemble, fixant non seulement le niveau des effectifs et les bases de l’encadrement, mais l’état des