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nous puissions l’accuser de rien formellement, il est permis de penser qu’il ménage tous les côtés d’une situation complexe et qui reste obscure à ses yeux. Nous n’avons aucune raison de croire à sa déloyauté, mais nous n’en avons non plus aucune de compter sur sa parfaite franchise et encore moins sur son sérieux attachement.

Dans une conversation très intéressante, très significative, qu’il a eue avec un rédacteur du Matin, il apparaît intelligent, adroit, circonspect et cependant explicite, dévoué sans doute à la nation protectrice, mais soucieux de s’adresser par la presse à l’opinion pour lui faire part de ses peines. Donc, après avoir exprimé son indignation contre les derniers événemens de Fez, il a déclaré qu’il n’avait pu rien faire pour les conjurer, car on le tenait en dehors de tout. « Vous n’ignorez point, dit-il, que les troupes chérifiennes échappent complètement à mon autorité. Depuis que les instructeurs français en ont pris la direction, je n’ai plus aucune relation avec elles ; je ne connais même pas mes caïds reka et mes mokkadems… Ne voyez dans mes paroles aucune récrimination, aucune critique, mais une simple constatation, montrant que l’état d’esprit des troupes chérifiennes m’échappait entièrement et que je ne pouvais ni prévoir, ni réprimer la sédition qui a éclaté. » Et sur une nouvelle question relative au caractère de l’insurrection qui n’a pas été seulement militaire et semble bien être provenue d’un mécontentement plus général : « Je vous ferai encore, dit-il, la même réponse : les autorités françaises ont pris entre leurs mains l’administration de la ville et celle des tribus, de même que celle de mes troupes. Les caïds des tribus ont été destitués et remplacés sans que j’en aie seulement été prévenu. Je n’avais plus aucun contact avec les populations rurales et j’ignore ce qu’elles pouvaient penser… Les documens, les ordres n’étaient plus revêtus du sceau chérifien, mais d’un cachet français ! N’était-il donc pas visible pour tous que je n’étais plus rien ?… On m’a dépouillé de toute autorité ; je ne suis même pas un conseiller du gouvernement. On agit sans me consulter en quoi que ce soit… On m’a lié les mains et jeté à l’eau, et l’on voudrait me reprocher maintenant d’être mouillé. Pourquoi aussi voudrait-on m’empêcher d’aller à Rabat ? Serait-ce… (et Moulaï-Hafid paraît ici chercher le mot), serait- ce juste ? Dites-le-moi vous-même. » « J’évite la réponse, » dit le rédacteur du Matin et il lui parle d’autre chose. Mais nous retenons, nous, les plaintes de Moulaï-Hafid, car elles sont légitimes, si les faits qui les provoquent sont exacts. C’est fausser le protectorat que de tenir le Sultan en dehors de tout et de le traiter comme non existant. Le protectorat doit respecter sa souveraineté. Il ne peut rien faire