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où, sous prétexte de manteau, le sculpteur est revenu sournoisement au drapé antique. On ne peut dire que pendant ces soixante-dix ans, et de Rude à M. Rodin, les grands artistes aient manqué, ni qu’ils aient échoué dans toutes leurs tâches. S’ils ont échoué dans celle-là, c’est qu’apparemment on ne saurait y réussir et qu’il y a bien certaines « lois » en art qu’on peut nier si c’est la plume qu’on a en main, mais qu’il est impossible d’enfreindre, si c’est l’ébauchoir.

Les artistes ont fini par s’en aviser. Hors le cas où le costume moderne leur est expressément imposé, ils l’évitent avec soin et reviennent au nu, ou au vestis talaris. Ainsi a fait M. Saladin dans son Monument à la mémoire de Jean Lorrain, exposé aux Champs-Elysées, près de la porte d’entrée. Au lieu de dresser l’écrivain en pied dans ce « complet » immuable dont la mode affuble les poètes comme les autres hommes, il a simplement profilé sa ressemblance sur un médaillon, puis, au-dessus, il a figuré la Muse de Mémoire debout, appuyée à une colonne, laissant tomber les fleurs inutiles du souvenir. La figure se profile également bien de tous les côtés, la ligne est souple, le modelé large et plein. Ce n’est point un ambitieux symbole : c’est le geste gracieux d’une femme, et que pourrait faire de mieux le statuaire? Outre les qualités de praticien qu’on admire en M. Saladin, il faut lui savoir gré de rompre hardiment avec la funeste superstition de la « modernité » dans le costume et souhaiter que son exemple soit suivi. Assurément, il ne suffit pas qu’un sculpteur remplace un contemporain par une allégorie pour faire une belle œuvre. Mais il suffit qu’il présente ce contemporain en redingote ou en veston pour ne la faire point.

Le plus sûr serait de n’élever des statues qu’aux personnages pittoresques ou plastiques, — ce que fait M. Bouchard. Ce vigoureux artiste s’est donne la tâche singulière de réparer les injustices du moyen âge à l’égard de ses grands hommes. Il lui a semblé, sans doute, qu’en un pays où tout bâtisseur a sa statue, les auteurs de la Sainte-Chapelle ou des Tombeaux des Ducs de Bourgogne avaient droit, aussi, à un monument, et que peu de philanthropes ou de Mécènes modernes méritaient d’être commémorés autant que les fondateurs de l’Hospice de Beaune. Il a donc tenté de nous restituer, en pierre, d’abord le maître d’œuvres Pierre de Montereau, puis l’ » ouvrier d’ymaiges » de Philippe le Hardi, Claus Sluter, et le voici, cette année, qui dresse, devant