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D’après le général Lebon, « on a eu tort de conclure que tous les chefs de l’armée de Metz ignoraient tout de cette doctrine, qu’ils étaient des incapables, et ne possédaient pas, notamment, l’esprit offensif ; — Bourbaki, Le Bœuf, Ladmirault, Canrobert, de Cissey, pour ne citer que ceux-là, n’étaient-ils pas animés de l’esprit offensif autant que personne l’a jamais été et le sera jamais ? Ils étaient parfaitement capables de faire autre chose que ce qu’ils ont fait. Quant à la troupe, elle était pleine de confiance et d’espoir dans une vigoureuse offensive[1]. »

Voyez au premier moment combien tous les chefs sont prêts à passer la frontière. Lisez dans les relations les signes d’impatience de nos soldats à Saint-Avold, à Bitche, à Marienthal, quand on les tient immobiles et qu’on ne les dirige pas vers ces canons qui les appellent ! avec quelle ardeur ils s’élancent quand on le leur permet ! « Ils vont à l’ennemi et au corps-à-corps en riant. Ils se disputent les places d’avant-garde ; le cri : « Ça chauffe ! » fait accélérer leur marche et les met de bonne humeur. »

Comment prétendre que la furia francese n’animait plus nos troupes quand on se rappelle ces zouaves, ces turcos, ces fantassins, qui, à Wœrth, ont toute la journée abordé l’ennemi, faisant à peine usage de leurs fusils terribles et s’élançant au pas de course, la baïonnette en avant ? En vérité, l’armée française de 1870 était encore telle que le prince Frédéric-Charles l’avait vue. Jeanne d’Arc, dans un interrogatoire, répond : « Je disais à mes hommes d’armes : « Entrez hardiment parmi les Anglais et j’y entrais moi-même. » La fille inspirée du sillon définit ce qu’a été, ce qu’est toujours la France militaire : offensive dès qu’elle sera libre de suivre son instinct naturel.

Il est vrai qu’à Wœrth et à Forbach cette offensive de nos troupes et de leurs chefs a toujours été courte et ne s’est pas lancée au delà du point où l’ennemi avait été refoulé ; Ducrot à Wœrth, Vergé à Stiring, Laveaucoupet à Spicheren n’ont pas poursuivi l’épée dans les reins les assaillans qu’ils avaient battus. Cela tient à une raison profonde : c’est qu’une troupe ne peut pousser à bout une offensive tactique victorieuse que lorsqu’elle se sent entraînée par une offensive stratégique générale. Les portions isolées de l’ensemble ne ressentent cette impulsion

  1. Conférence du 19 janvier 1912 au Cercle militaire.