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dès qu’il les vit en Afrique. Une ambassade se rendit à Rome avec mission de solliciter un traité d’alliance. Malheureusement, ignorant comme il l’était encore des mœurs politiques romaines, il oublia l’argument essentiel : des cadeaux pour les sénateurs influens. Ses offres furent rejetées, Jugurtha, exploitant habilement cet échec diplomatique, redoubla d’instances auprès de lui. Il lui peignit l’ambition démesurée des Romains, menace perpétuelle pour tous les souverains indépendans, et lui inspira des craintes pour sa propre sûreté. Bocchus finit par se rendre ; il franchit la Moulouïa et vint faire sa jonction avec les troupes de Jugurtha. Mais en bon Africain qu’il était, il jouait double jeu. Au moment même où il prodiguait à Jugurtha les assurances de sa fidélité, il poursuivait avec le général romain les pourparlers diplomatiques précédemment engagés à Rome. La négociation échoua encore. Bocchus toutefois gagnait du temps et, dans la situation difficile où il se trouvait, c’était beaucoup pour lui.

Les événemens se précipitent. Rome envoie pour en finir un nouveau général, Marius, un vétéran des guerres d’Afrique, le meilleur de ses hommes de guerre. Jugurtha, réduit aux abois, se décide aux sacrifices nécessaires ; il offre à Bocchus le tiers de ses Etats et, ce qui ne gâtait rien, corrompt à prix d’argent ses conseillers les plus intimes. Le Roi se décide alors. Maures et Numides fondent brusquement sur les troupes romaines. Ce fut une de ces surprises d’Afrique, comme nous en avons tant connu en Algérie, comme l’avenir nous en réserve sans doute plus d’une au Maroc. L’armée romaine regagnait tranquillement ses quartiers d’hiver. Le soir tombait. Tout à coup on vit apparaitre les masses de la cavalerie africaine, les deux rois en tête : « Avant que l’armée eût eu le temps de se former ou de rassembler ses bagages, avant qu’elle eût pu recevoir aucun signal, aucun commandement, les cavaliers Maures et Gétules fondent sur les nôtres, non en ordre de bataille, ni suivant aucune règle de tactique, mais par pelotons formés au hasard. Déconcertés par cette attaque inopinée, les Romains n’oublient pas leur ancienne valeur ; les uns prennent les armes, les autres font un rempart à ceux qui sont encore à s’armer, d’autres montent à cheval et courent à l’ennemi. C’est une attaque de brigands plutôt qu’un véritable combat. Point d’étendards, point de rangs. Cavaliers, fantassins tout est confondu.