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de second rang, couchés par terre. La nôtre n’avait pas su mettre en œuvre les ressources par lesquelles elle aurait pu conjurer son infériorité en qualité et en nombre. On ne l’avait mise en ligne que successivement, par petits paquets, au lieu de le faire en masse dès le premier moment ; on l’avait gaspillée dans des combats d’artillerie à artillerie ; on ne la gardait pas pour l’attaque contre l’infanterie ; parfois on ne s’en servait pas du tout. Ainsi l’artillerie de réserve fut tellement tenue en réserve à Forbach qu’elle ne parut pas sur le champ de bataille et, sur quinze batteries, six seulement donnèrent, neuf restèrent inactives. Il y a là une différence de procédé qui ne se rattache nullement à une différence de doctrines. Si l’emploi défectueux de notre artillerie eût dépendu d’une doctrine erronée, il eût fallu des mois pour la redresser, tandis que dès que d’Aurelle de Paladines s’en aperçut à Coulmiers, il lui suffit d’un ordre dicté en cinq minutes pour que notre tactique d’artillerie devînt la même que celle des Prussiens.

Retrouve-t-on la différence des doctrines dans l’esprit de solidarité, d’initiative, d’offensive des Prussiens, qui n’animait pas au même degré les Français asservis à la vieille méthode ? Ici encore, je réponds par des objections de fait. L’esprit de solidarité n’existait guère entre les commandans de la 1re et de la IIe armées prussiennes, puisque, à la nouvelle de la bataille entamée, on dut retenir le prince Frédéric-Charles à Hombourg dans la crainte qu’il ne se livrât sur Steinmetz à quelque violence ; il n’existait pas entre Steinmetz et son chef d’état-major, et je ne crois pas qu’une grande tendresse unit Glümer et Goltz, Alvensleben et Gœben. De notre côté, si vous ne tenez pas compte de quelques mots inventés, attribués à Bazaine et Castagny, aucun acte de mauvaise camaraderie intentionnelle ne peut être relevé. Sur le champ de bataille de Wœrth, comme sur celui de Forbach, les généraux de nos diverses divisions se sont, à tous les momens critiques, prêté un appui fraternel. Les divisions de Bazaine sont arrivées tard, mais elles sont arrivées. Ce n’est pas seulement chez nous qu’il y a eu des Failly, des Castagny sourds à l’appel du canon. Le général de la XVe division prussienne assista immobile, à quelques kilomètres de Sarrebrück, aux péripéties de la bataille commencée par la XIVe division ; le commandant de la XIIIe division ne s’est décidé à marcher que sous la pression d’un de ses chefs de brigade.