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A la suite des batailles de Wœrth et de Forbach, on est nécessairement entraîné à s’élever au-dessus du fait particulier et à rechercher ce qu’il faut conclure sur la valeur des deux armées en présence. Le moment n’est pas encore venu d’établir un jugement définitif, car, au cours de la lutte, les deux unités à comparer vont subir des transformations. Si l’on devait juger la cavalerie prussienne par ce qu’elle a fait jusqu’au 6 août, on prononcerait que, pas plus que la nôtre, elle n’a su éclairer, reconnaître, poursuivre, garder le contact, et qu’elle n’a pas, aussi bien que la nôtre, chargé à fond. A la fin de la campagne, elle avait accru beaucoup sa valeur. Au contraire, le fantassin français, qui marchait péniblement à Sedan, à demi vaincu d’avance, n’avait plus la même qualité que le zouave et le fantassin alerte et confiant de Wœrth. Cependant on peut, en s’en tenant aux lignes principales, formuler un jugement approximatif presque assuré à condition de se garder d’un parti pris systématique.

Après 1870, des officiers instruits, distingués, parlant bien, écrivant encore mieux et, je n’en doute pas, capables de bien agir, ont fondé une école militaire doctrinaire. Cette école, qui a rendu de notables services par ses études sur notre histoire militaire, ne s’est point préservée de l’absolutisme pédantesque qui rendit autrefois si désagréable l’école doctrinaire politique. Elle dogmatise, régente, condamne tout ce qui n’est pas elle et surtout ce qui l’a précédée. Avant elle, la science militaire n’existait pas : les Jomini, les Gouvion-Saint-Cyr, les Morand, les Marmont, les Bugeaud sont gens de mince autorité ; quant aux généraux qui ont victorieusement promené notre drapeau sur tant de champs de bataille, pris Anvers, conquis l’Algérie, emporté Sébastopol, triomphé à Magenta et Solférino, fait si belle contenance en Syrie et au Mexique, ce n’étaient que des ignorans qu’on a peine à ne pas traiter de ganaches.

C’est dans des conversations avec Galliffet qui, ayant si longtemps tout ignoré, était infatué de savoir quelque chose, que j’ai entendu la première fois ce langage trop souvent répété. Sur la guerre de 1870 la thèse est celle-ci : la lutte n’a pas éclaté entre des hommes, mais entre des doctrines. C’est la doctrine napoléonienne, ressuscitée par les Prussiens après avoir été