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journée. Il n’avertit de la direction divergente de sa retraite ni Bazaine, ni l’Empereur ; il oublie la brigade Juniac sur la route où il l’a renvoyée ; il ne s’inquiète pas des divisions qu’il a demandées et qui, si un corps d’armée prussien était arrivé par Sarrelouis, seraient tombées dans une véritable souricière. Ses voitures galopent sur Puttelange avec autant de célérité et de confusion que lui vers Sarreguemines, et l’officier, qui les conduit, écho des impressions de son état-major, réclame le passage prompt à travers les troupes qu’il croise, en criant à leur général : « Tout est perdu ! »

Cette retraite sur Sarreguemines, décidée par la crainte exagérée d’un mouvement tournant, est sans excuses. De la part d’un officier d’une intelligence éprouvée et d’une bravoure au-dessus du soupçon, elle ne s’explique que par le désarroi moral résultant des surprises de l’inexpérience. Le péril d’être tourné était une réalité bien plus imminente en 1792, dans l’Argonne, lorsque l’Autrichien Clairfayt, s’étant emparé des défilés de la Croix-au-Bois et du Chêne populeux, se préparait à envelopper les 15 000 hommes de Dumouriez, ayant en tête 40 000 Prussiens. : Dans ce péril, Dumouriez, plein de présence d’esprit et de décision, ne s’éloigne pas des renforts en route vers lui, au contraire, il va au-devant d’eux en se dérobant par une marche de nuit ; il réunit ainsi 60 000 hommes et le lendemain il est victorieux. Frossard n’avait pas à aller au-devant de ses renforts, ils venaient à lui ; il n’avait qu’à les attendre, sans se dérober par une marche de nuit. Il ne tenait qu’à lui, ainsi renforcé, de punir les Prussiens de leur précipitation comme Dumouriez avait fait payer aux Autrichiens leur lenteur.

Vergé et Bataille, l’ordre de retraite reçu, ne perdent pas leur sang-froid comme leur chef, ils se retirent, sans se hâter, car personne ne les harcèle, et ils emmènent leur artillerie et une partie de leurs blessés.

Laveaucoupet (9 heures) s’était établi pour la nuit sur la crête Sud de Spicheren, occupant toujours le village par ses avant-postes. A dix heures, l’ordre de retraite lui parvient. Il se porte lentement et avec ordre sur les plateaux de Bohren et d’Œting, et il ne se met en marche vers Sarreguemines qu’après que les hommes et les fractions disséminées ont rallié. Ses derniers échelons ne quittèrent le plateau qu’au point du jour. La division Bataille couvrait la retraite ; elle ne s’éloigna que lorsque