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VIII

Après Wœrth et Forbach, notre situation était loin d’être aussi critique qu’après Waterloo. Un seul de nos corps d’armée avait été réellement battu. Nos ressources de toute nature étaient considérables ; l’infériorité de notre canon pouvait être suppléée très vite en fabriquant à la hâte le canon de 7 en bronze, égal, au moins, à celui des Prussiens. Il n’était pas non plus malaisé d’augmenter nos fusées percutantes et de corriger la tactique de notre artillerie, dont la défectuosité venait d’être démontrée ; la garde nationale mobile, dont les états étaient dressés, nous donnait un réservoir d’hommes où il n’y avait qu’à puiser à pleines mains. Ils n’étaient pas instruits, mais, reçus dans de vieux cadres de troupes vigoureusement exercées, ils fussent, en peu de jours, devenus de véritables soldats. Avec de telles ressources il était ignominieux de se jeter aux pieds de l’ennemi, de lui demander grâce et de bâcler une paix qui eût toujours fait une entaille à notre territoire.

Le patriotisme, comme la prévision de l’avenir, conseillait la continuation de la guerre et la guerre à outrance. Depuis l’époque où nous arrachions notre nationalité encore mal cimentée à l’étreinte de la conquête anglaise, et celle où nous défendions notre nationalité constituée contre les convoitises de l’Europe coalisée, il ne fut pas d’heure plus solennelle et plus fatidique. L’illusion généreuse dans laquelle les meilleurs d’entre nous avaient vécu, que la lutte séculaire entre l’Allemagne et nous était close et qu’entre les deux pays il n’y aurait plus qu’une guerre de civilisation et de progrès, une amitié loyale, pleine d’espérances civilisatrices, venait d’être cruellement déçue, et l’Allemagne, qui nous devait d’avoir vu détruire son archaïsme féodal pendant la Révolution, et d’avoir pu librement constituer son Unité en 1866, nous récompensait en nous provoquant à l’improviste, la main tendue pour nous arracher la Lorraine et l’Alsace et nous soumettre à sa prépotence. La France allait-elle être précipitée de son rang de puissance de premier ordre au rang de puissance de second ordre, asservie désormais aux caprices de l’Allemagne conquérante ? C’était une question de vie ou de mort. Nous ne l’avions pas posée, mais, à aucun prix, il ne fallait admettre qu’elle fût résolue