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plus modeste qui nous rendent. « Je regrette, a-t-il dit, les bruits alarmans qui, chez nous et ailleurs peut-être, par patriotisme mal entendu, ont été lancés dans la presse, soi-disant pour appuyer des mesures d’armemens nécessaires. Ces bruits troublent toutes les affaires et n’ont aucune utilité. » M. de Bethmann-Hollweg aurait été encore plus fort pour qualifier ces bruits avec sévérité si les armemens qu’ils avaient pour objet de provoquer n’étaient pas venus en effet, et nous nous demandons si, lorsque les armemens auront été faits, les mêmes bruits ne courront pas pour obtenir qu’on les mette à profit. « Oui, messieurs, a continué le chancelier, bien souvent les guerres ne sont pas voulues et provoquées par les gouvernemens. Les peuples se lancent dans ces expéditions aventureuses bien fréquemment par suite de manœuvres bruyantes et fanatiques. Ce danger existe aujourd’hui : il est même peut-être plus grand qu’autrefois. » Nous dirons à notre tour qu’il devient plus grand encore lorsque les gouvernemens, qui ne veulent pas la guerre, habituent les peuples à croire qu’ils peuvent la faire sans danger. On nous rendra la justice que nous ne faisons rien de tel en France. Le gouvernement n’y demande pas sans cesse des armemens nouveaux et, quant au peuple lui-même, s’il est toujours prêt à répondre à une provocation, on peut être sûr qu’elle ne viendra pas de lui.

Il est vrai que M. de Bethmann-Hollweg en dit autant du gouvernement, sinon peut-être du peuple allemand, et encore une fois la probité de son affirmation nous paraît incontestable ; mais, à parler franchement, nous sommes quelque peu inquiets d’entendre si souvent ou plutôt d’entendre toujours parler de la guerre, même quand c’est pour assurer qu’on n’en veut pas. A force de parler de revenans, on en donne la peur même à ceux qui n’y croient pas : il y a des exorcismes qui, à force de se répéter, finissent par faire croire au diable et par ressembler à une évocation. Tout ce que nous retenons du discours de M. de Bethmann-Hollweg, c’est que l’Allemagne s’arme jusqu’aux dents parce que, si aucun gouvernement ne projette la guerre, l’imprudence des peuples et des journaux la rend plus à craindre que jamais. Malheureusement, nous ne pouvons répondre que de nous.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-Gérant,

FRANCIS CHARMES.