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D’abord ; nous ne les y avons pas encore apportés, on ne les y a pas encore sentis et appréciés ; mais quand même il en aurait été autrement, le fanatisme musulman est une force avec laquelle nous aurons longtemps à compter. Qu’on ne s’y trompe pas, il est aujourd’hui à l’état frémissant tout autour de la Méditerranée. L’entreprise italienne sur la Tripolitaine a mis tout le monde arabe en fermentation, fermentation dont le caractère particulier est de se dissimuler sournoisement jusqu’au moment où elle éclate brutalement. En Algérie, en Tunisie surtout, on en a aperçu les symptômes. Les incidens marocains se rattachent par plus d’un lien à cette situation d’ensemble. Des mesures de prévoyance doivent être prises, et la première de toutes, on ne saurait le répéter avec trop de force, est de donner à notre protectorat marocain une organisation normale. Nous n’avons aujourd’hui que le mot, et le mot, à lui seul, est dangereux : nous demandons la chose et nous ne la reconnaîtrons comme une réalité active que lorsqu’elle sera représentée par un homme, c’est-à-dire par une tête et par un bras.


Nous venons de parler de la guerre italo-turque. Toutes les puissances ont un intérêt identique, mais cependant inégal, à ce qu’elle cesse le plus tôt possible : le nôtre est à coup sûr un des plus pressans, car, comme on l’a dit bien souvent, nous sommes une grande puissance musulmane, et rien de ce qui se passe dans le monde musulman, surtout dans le monde arabe, ne saurait nous laisser indifférens. Indépendamment de nos sentimens pour l’Italie et pour la Turquie, nous devons donc désirer, plus que personne peut-être, la fin de la guerre entre ces deux puissances. Malheureusement, elle n’est encore qu’une espérance et nous n’apercevons pas en traits distincts le moyen de la réaliser.

Le fait capital de ces derniers jours est le bombardement par la flotte italienne du fort de Koumkalé, à l’entrée des Dardanelles, et l’occupation d’une île, qui sera peut-être suivie de l’occupation de plusieurs autres dans la mer Egée. Ces mesures étendent le champ des hostilités, sans que rien démontre qu’elles nous rapprochent du dénouement. Lorsque l’Italie a envoyé une flotte avec des troupes de débarquement dans la Tripolitaine, on a pu croire que toute l’action militaire serait localisée sur la côte d’Afrique. Quelques coups de canon ayant été tirés dans la mer Adriatique, l’Autriche s’est émue et le fait ne s’est pas renouvelé depuis. Les Italiens espéraient alors qu’en touchant l’ennemi sur un seul point, ils l’amèneraient à composition :