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Il semble vraiment qu’à cette heure-là la Providence ait eu pitié de la France, que, gagnée par la justice de sa cause, entrevoyant ce que la civilisation, la liberté, perdraient à notre ruine, elle ait pris la place des chefs qui ne savaient rien vouloir, leur ait préparé un champ de bataille où ils rencontreraient la victoire, cette première victoire dont les effets eussent été incalculables. Voilà une division prussienne ayant à peu près un effectif réel de 12 000 combattans, 24 pièces, 4 escadrons, ne pouvant être immédiatement soutenue que par trois escadrons sur un terrain impropre à l’emploi de la cavalerie, qui, croyant n’avoir devant elle que de faibles détachemens, se jette à l’étourdie sur trois divisions prévenues et en position, formant un total de 28 000 hommes et 15 batteries. Un Bugeaud, un Pélissier, un Bosquet, un Changarnier, n’importe quel général de notre vieille armée n’eût pas hésité sur la conduite à suivre. Il serait arrivé au galop sur le plateau, d’où il aurait découvert toutes les parties du champ de bataille, l’Eperon et la vallée, et où il se serait trouvé à égale distance de ses deux ailes. Il aurait donné le signal d’une offensive générale. Laveaucoupet eut atteint alors sans encombre la Sarre. Vergé aurait commencé sur Drahtzug et le champ de manœuvres un mouvement offensif parallèle ; les deux offensives se seraient rejointes sur la Sarre et auraient mis en pièces la XIVe division. « Si, au lieu de nous river à cette absurde position de Spicheren, on avait entraîné tous nos soldats ensemble sans arrière-pensée à l’attaque des Prussiens débouchant de la Sarre, le résultat, nos adversaires ne font aucune difficulté pour en convenir, le résultat n’était pas douteux[1]. » Ceci est en effet hors de doute.

A proximité, il est vrai, d’autres troupes prussiennes s’avançaient, mais ces troupes ne pouvaient arriver qu’après quelque temps, successivement, décousues, essoufflées. De plus, comme la division de Kameke, qui avait commencé cette attaque si inégale, était dans la nécessité d’étendre son front sur six kilomètres, ces troupes de secours devaient se fractionner et se glisser, loin les unes des autres, à différens points de la ligne de bataille, en se mêlant à des unités elles-mêmes entamées ; il en résulterait la confusion, l’impossibilité d’un commandement

  1. Colonel Maistre, Spicheren.