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de l’Indépendance. Le plus fameux de ces régimens de volontaires, dit « légion des patrices, » dont l’effectif atteignit 1 500 hommes devint une sorte de garde consulaire qui représenta jusqu’à la Révolution le sentiment local contre l’esprit espagnol.

Cette militarisation d’une cité coloniale fut l’œuvre méritoire de Liniers, bien plus importante que la Défense même, puisque c’est grâce uniquement à celle-là que celle-ci fut efficace. On se figure ce que représenta de labeur pour les uns, de sacrifice pour les autres, de dévouement pour tous, la formation complète d’un contingent de 9 à 10 000 hommes, dont le septième à peine appartenait à la troupe de ligne. De cette petite armée improvisée, tout était à créer et tout se créa, l’âme et le corps : la discipline, la résistance, l’aptitude au combat, les armes, les munitions, l’équipement, les subsistances en campagne. Liniers devait être partout, avoir l’œil à tout. Le plus scrupuleux des historiens argentins lui rend justice : « Il révéla, dit-il, un véritable génie organisateur. »

La courte campagne, cependant, débuta mal. Liniers eut la faiblesse de céder à quelques bourgeois trembleurs du Cabildo, qui redoutaient l’entrée de l’ennemi, et aussi aux fanfaronnades d’un colonel espagnol Elio, sorte de Miles gloriosus, qui, dans les succès généraux les plus avérés, trouvait toujours moyen de se tailler une déroute personnelle. Avec une partie de son armée, il franchit le Riachuelo, le 2 juillet, pour offrir le combat à la division de Craufurd, forte de 2 000 hommes. Il se laissa tourner, ne put soutenir une attaque de flanc, tenta vainement de contenir les troupes débandées de Elio et fut lui-même entraîné dans la panique. Le lendemain, Liniers put rassembler à la Chacarita une partie de ses forces et, par le Retiro, reprendre la direction centrale de la défense qu’il ne devait plus abandonner. Il était temps : à cette heure même, l’armée anglaise venait camper à l’Ouest, près des abattoirs dont nous avons déjà parlé. Au quartier général de Whitelocke, la soirée s’employa à discuter et finalement approuver le plan d’attaque : il était simple comme la figure de la ville, dont il s’inspirait. Il consistait à diviser en deux chacun des régimens attaquans (à l’exception du 38e, commandant Nugent, qui manœuvra seul, à l’extrême Nord), et à pénétrer ainsi dans la place, par douze colonnes, dont chacune devait parcourir la rue