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qui ne dépassent guère une vingtaine de millions, soit quelque quarante francs par adhérent, il serait à souhaiter que les chefs des communes mixtes, présidens des sociétés de prévoyance, fussent toujours à même de discerner, parmi les candidats à l’emprunt, les gens les plus méritans et leur fissent la part aussi large que de raison.

Si l’emploi de ces fonds n’est pas toujours judicieux, du moins le placement en est-il très sûr, et le recouvrement des prêts annuels ne laisse qu’un montant très faible de non-valeurs. Encore faut-il, pour être tout à fait juste, mentionner d’une part les excès de zèle de quelques administrateurs qui, en pressant trop quelques retardataires, les obligent à s’adresser à l’ennemi commun, l’usure, pour s’acquitter vis-à-vis de la mutualité ; d’autre part, dans certaines communes, la pratique tout à fait répréhensible qui consiste à renouveler indéfiniment les prêts par un simple jeu d’écritures, au risque de ne trouver dans la causse aux jours de disette que les billets des indigènes.

En revanche, nous n’accuserons pas, comme on l’a fait, les sociétés de prévoyance de n’avoir arraché les pauvres hères aux dents des prêteurs à la petite semaine que pour les jeter aux griffes des Harpagons officiels, adjoints indigènes et autres pressureurs du pauvre monde musulman. On a publié des calculs hautement fantaisistes d’après lesquels le mutualiste indigène, après avoir passé par le kébir, le khodja, le caïd et le chaouch, aurait déboursé 20 pour 100 de l’avance que lui consentira la Société. Que de tels abus existent, cela n’est que trop certain, encore que la généralisation des prêts doive bien les atténuer. Mais il serait curieux que cette institution, en ouvrant une nouvelle source de crédit, n’eût pas réduit le taux moyen de l’intérêt : à coup sûr l’indigène n’est pas obligé de s’adresser à la société de prévoyance et s’il s’y empresse, malgré sa répugnance bien connue pour le remboursement à époque fixe, c’est qu’il y trouve un avantage sérieux.

On dit aussi que certains adhérens, parmi les Kabyles surtout, n’empruntent que pour prêter à usure ; la chose n’est pas impossible, étant donné l’incurie qui règne dans quelques communes mixtes, mais elle demeure exceptionnelle et de tels financiers, opérant avec un capital de cinquante à cent francs, ne peuvent causer grands ravages.