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fouetter la paresse intellectuelle des jeunes gens ; ils accepteront la lutte et la concurrence, et finalement, l’intellectualité des deux sexes y gagnera… Mais un pareil équilibre, pour s’établir, requiert encore pas mal d’années.


Il fallait une conclusion pratique à mon entretien avec Georges.

— J’admets, lui dis-je, que Sylvie soit bien la femme qui vous convient, malgré l’absence de fortune et une certaine différence sociale. J’admets que vous soyez homme à vous engager quatre ou cinq ans à l’avance, et à rester fidèle à vos engagemens. En quoi puis-je servir vos projets ?

Il me prit la main et la pressa gentiment :

— En faisant pour moi, répondit-il, ce que vous avez fait naguère pour votre nièce Françoise et pour le saint-cyrien qu’elle aimait. Je sais bien que nous n’avons pas les mêmes droits à votre appui ; Sylvie n’est pas votre nièce. Mais elle vous aime beaucoup, elle aussi… Et elle aussi, de temps en temps, vous appelle : mon oncle.

Ah ! le malin petit poète ! Il savait bien ce qu’il faisait en vouant ses projets au patronage de Françoise ! Il me rajeunissait de dix ans et plus, comme par un coup de baguette féerique… J’en fus si troublé que je ne lui répondis pas sur-le-champ. Je me revoyais, sortant de chez moi, par un jour d’automne, pour me rendre à cette place Possoz où demeurait votre maman, Françoise, la douce Mme Le Quellien… La carcasse de l’Exposition universelle débordait encore jusqu’à la place du Trocadéro, sous mes fenêtres… Comme c’est loin, déjà, ce temps-là !… Les derniers vestiges de l’Exposition (la galerie des Machines) ont disparu récemment. La provinciale place Possoz est bouleversée, éventrée par des avenues : ce n’est plus la placette de sous-préfecture, c’est l’aboutissement de cinq ou six grandes voies parisiennes, garnies de gratte-ciels modernes, pierre de taille, balcons monumentaux, dômes coiffés d’ardoise… Un de ces immeubles occupe le lieu même de la maison vieillotte, de la maison à trois étages où vous êtes venue au monde, Françoise, où votre mère est morte.. Le bouleversement des choses, autour de nous, nous avertit que les années coulent, malgré notre