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— Oh ! vous sentez bien, répliqua-t-il. que c’est justement pour cela…

Oui, il avait raison, je devinais, je comprenais… Du dégoût, à l’avance, pour la bohème de l’amour ; une vague peur de céder tout de même à la tentation ; l’idée, commune parmi les jeunes Anglais, qu’une affection sérieuse est une défense… Quelle objection valable avais-je le droit d’opposer ? Si un adolescent prend pour modèle le Thouvenin de Denise, il lui faut le mariage jeune, et, avant le mariage, des fiançailles longues et sérieuses.

— Soit, repris-je. Vous avez un bel idéal de jeunesse : je ne me crois pas le droit de vous en détourner. Mais combien il me paraît difficile de choisir la jeune fille à qui on confie le dépôt, ta sauvegarde d’un tel idéal ! Etes-vous sûr que Sylvie ?… Oui, j’entends bien : vous l’aimez… N’est-ce pas ses cheveux blonds, ses yeux clairs, son air d’Ophélie bien portante que vous aimez, c’est-à-dire, malgré vous et à votre insu, des avantages physiques ?

— Non, me répondit-il avec chaleur. Je trouve Sylvie adorable à voir, et vous ne me contredirez pas. Mais je l’aime aussi parce qu’elle est unique, parmi les autres jeunes filles. Il n’y a qu’une Sylvie. D’abord, de toutes les jeunes filles que je connais, elle seule est simple, vraie… Les jeunes filles de ma génération sont intelligentes, actives, ambitieuses, amusantes ; elles sont terriblement apprêtées et poseuses : voilà leur grand défaut. Sylvie se montre telle qu’elle est. Elle ne pose ni pour la culture, comme cette petite Bernier à laquelle vous avez si bien montré son béjaune, ni pour la mondanité comme les petites Demonville, ni pour le sport comme May Footner, ni pour rien. Et moi, je la trouve plus cultivée, plus femme du monde, plus adroite de ses membres qu’elles toutes… Et puis, — et surtout ! — elle seule a une vie intérieure, une vie morale… Vous qui nous observez de près, monsieur, avez-vous remarqué que les jeunes filles d’aujourd’hui, si conforme à la morale que puisse être leur vie pratique (et elle l’est souvent), n’ont guère de vie morale, guère de croyance morale ? Pas de religion, ou une religion de snobisme ; rien à la place. Aucune réflexion sur le devoir : marions-nous, nous verrons bien après ! Sur la maternité, une seule résolution : pas tout de suite et pas trop… Une activité intellectuelle fiévreuse, désordonnée, mais qui se