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d’elles : mais qui connaît cet amour ? qui est-ce qui l’a vécu ? Son véritable nom est amitié. »

Ceci peut être considéré comme le dernier mot de Nietzsche sur la question. L’amour-amitié, l’amour amical, l’amitié amoureuse, il a comme tourné autour de ces formules pour définir l’amour tel qu’il l’entendait et il a fini, ou il a dû finir par une sorte de par delà l’amour, par une considération de l’amour se détruisant lui-même à force d’être pur, se détruisant à se transposer et à se dépasser et n’étant plus (ce qui ne veut pas dire que ce soit peu de chose) que l’union de deux âmes dans une grande adoration et dans un grand dessein : eadem velle amicitia est (Salluste). Au fond, quand il écrit sur l’amour, Nietzsche est bien l’homme qui, en femmes, n’a jamais aimé que sa sœur.

Ses considérations sur les femmes et sur l’amour n’en sont pas moins, quoique incomplètes et quoiqu’il se soit occupé de toutes autres choses plus que de cela, singulièrement originales et quelquefois profondes. Il y a plaisir à considérer attentivement les intuitions, relativement à l’amour, de ceux qui très probablement ne l’ont point connu. « Qu’est-ce donc que l’amour si son rêve est si beau ? » dit Jocelyn. Oh ! en cela, comme en tout, le rêve est plus beau que la chose ; car il est incomplet. Ce qu’il y a de meilleur dans l’amour, c’est le rêve qu’on en fait et le souvenir qu’on en garde.


EMILE FAGUET.