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UN AMUSEUR OUBLIÉ

CARMONTELLE, 1717-1806

Le mystère des destinées échappe à notre fragile entendement. Certains hommes, en venant au monde, portent en eux le germe du bonheur. Ils naissent à l’époque la plus avantageuse pour l’éclosion de leurs talens naturels ; un sort favorable les pousse dans le milieu le mieux adapté à leur génie. Désormais, ils n’ont plus qu’à laisser couler leur vie, qu’à prendre la peine de suivre leur chance.

Celui qui fait l’objet de cette étude compte au nombre de ces privilégiés. Il vécut dans la rumeur des fêtes et connut la griserie des louanges. Solon affirmait, au dire d’Hérodote, qu’il ne faut pas saluer du nom d’heureux aucun mortel avant sa mort. Heureux, Carmontelle le fut par delà le tombeau. Il s’éteignit dans le plus grand âge. La piété d’un ami lui ferma les yeux et sauva son œuvre de la dispersion.


I

Son origine, cependant, ne semblait pas le désigner pour quelque haute fortune. Il était de souche roturière, même paysanne, issu d’une obscure lignée de vilains, égrappeurs de vignes, au pays de Mirepoix, et s’appelait tout vulgairement Louis Carrogis.

Son père, Philippe, lassé du fossoir et du hoyau, avait