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L’APPEL DE L’OMBRE


Je m’épuise à héler le nocturne passeur ;
Mais, devant le grand Fleuve au murmure obsesseur,
Qu’il soit le morne Érèbe ou le fangeux Cocyte,
Ma voix exténuée en vain le sollicite.
Nulle ombre encore à mon appel n’a répondu,
Et je marche anxieux, et je rode éperdu
Dans le silence vide et dans le monotone
Paysage où ma main frémissante tâtonne,
Où mon pied lourd trébuche, où les bords infernaux
Que ne jalonnent plus les terrestres fanaux
S’achèvent aux béans précipices du songe.
Ah ! le regret me hante et le remords me ronge.
Pitié, passeur ! Fais luire à mon sombre destin
Un seul espoir, fût-il infiniment lointain !
Passeur, pitié ! Ma voix plaintive est déjà lasse
De gémir, et mon corps se décharné et se glace.
Et je tremble, ô passeur, si tu n’entends mes cris,
De traîner sur la rive où mes os sont proscrits
Les fautes dont le faix m’accable la mémoire.
Et d’errer pendant toute une éternité noire.

LEONCE DEPONT.