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devant les élèves du lycée Lakanal, un discours où il faisait passer toute son inquiétude morale (31 juillet 189i), l’auteur des Contemporains, au lycée Charlemagne, en prononçait un autre sur la solidarité, discours très élevé, très grave, et qui dut surprendre beaucoup d’auditeurs. Il y commentait avec éloquence la belle parole d’Auguste Comte, si souvent citée par Brunetière, que « l’humanité est composée de plus de morts que de vivans ; » et il y combattait vigoureusement ce qu’il appelait « l’épicuréisme abstentionniste : »


C’est là, mes amis, une basse et mauvaise façon de prendre la vie... Combattons notre pente, qui est de nous dérober, de nous blottir dans une paix indifférente. Cherchons les occasions où beaucoup d’hommes assemblés sont animés à la fois d’une seule idée, et d’une idée salutaire pour tous... Hommes politiques,... vous ne promettrez que ce que vous pouvez tenir. Vous ne monnayerez pas votre influence : vous ne tirerez pas, avec âpreté, de votre mandat, tous les profits, petits ou grands, qu’il comporte... Toutes les époques sont des époques de transition, je le sais... Mais, tout de même, jamais moins qu’aujourd’hui on n’a été sûr de demain... Voilà, mes amis, des propos bien sévères. Je me hâte d’ajouter qu’ils sont à peine miens et que, les ayant tenus, je voudrais bien en faire tout le premier mon profit. Cet aveu leur enlèvera peut-être de leur solennité, les fera, après coup, plus modestes et plus familiers. Et puis, que voulez-vous ? c’est peut-être bien fini de rire, — sauf par-ci, par-là, et dans des fêtes innocentes et confiantes comme celle-ci.


Est-il bien surprenant que l’homme qui parlait ainsi soit devenu, quelques années plus tard, le Président de la Ligue de la Patrie française ?

Il s’était préparé à ce rôle en étudiant diverses questions d’intérêt général et social que les hasards de l’actualité proposaient à sa méditation. Il consignait dans une série d’articles qu’il intitulait, non plus Impressions cette fois, mais Opinions à répandre, les réflexions que lui suggéraient ses lectures et ses recherches nouvelles. Le livre, un instant célèbre, de Demolins sur la Supériorité des Anglo-Saxons (1897), avait remué en lui tout un monde d’idées, de préoccupations et de rêves qui, depuis longtemps sans doute, ne demandaient qu’à sortir et à s’exprimer. Une ambition sinon nouvelle, tout au moins renouvelée, s’imposait à sa pensée. « Il y a quelque chose à faire, écrivait-il, et chacun doit y penser. Après y avoir réfléchi, il m’a paru qu’un moyen discret, et bien à ma portée, d’agir sur l’opinion, — qui à son tour agirait sur les mœurs, — ce serait de