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augmens, sur les redoublemens, sur les aoristes, sur les verbes contractés, sur les verbes moyens, sur les verbes en mi, sur le diable et son train, avant qu’un seul exemple de verbe conjugué eût été proposé à l’élève !… Mais, agrégé de malheur ! (pensais-je), l’élève qui serait capable d’apprendre vos dix pages serait un monstre de mémoire, car je le défie de les comprendre ! Montrez-lui donc, et faites-lui apprendre des verbes, enchàssez-les dans des phrases, après quoi vos remarques sur les augmens, les redoublemens et les contractions reposeront sur quelque chose de concret, et signifieront quelque chose !

« Voilà, mes jeunes amis, le genre de grammaire qu’il faut tenir sous clé : hélas ! toutes les grammaires sont ainsi, sauf une (à ma connaissance) : la grammaire de Ahn. Celle-ci applique strictement le précepte d’enseigner par les exemples ; la partie purement grammaticale se réduit à deux lignes de remarques, de temps en temps, sur le texte qu’on vient d’étudier.

« Une fois que vous savez la langue étrangère à peu près comme, on sait sa langue maternelle à sept ans, — c’est-à-dire que vous possédez un ample vocabulaire, et que les flexions et les tournures vous sont familières, — alors, il sera temps (comme on le fait pour la langue maternelle) d’aborder l’étude analytique. Alors la grammaire de l’agrégé pourra vous être utile, malgré sa méchante méthode : car elle vous parlera des choses que vous savez, et vous trouverez en votre mémoire la corroboration pratique de son enseignement… Alors nous ferons des versions et thèmes sur des textes assez ardus pour exercer le fameux « esprit d’analyse, » et le problème sera double : d’abord bien pénétrer le sens, comme pour la phrase de La Rochefoucauld, — ensuite bien transporter ce sens d’une langue dans l’autre, résultat utile, mais en somme indépendant de la science même d’une des deux langues. On peut en effet comprendre parfaitement une satire de Juvénal et la rendre fort mal en français. Ce sont deux dons distincts ; deux apprentissages distincts, deux études distinctes ; j’appelle sur ce point l’attention de mon savant confrère. Il n’a certes pas manqué d’observer que beaucoup de traductions françaises d’auteurs anciens publiées par des latinistes ou des hellénistes excellens, sont des plus médiocres. C’est que ces doctes personnages étaient de pauvres écrivains français, et que pour rendre en