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Leusse s’était rendu au quartier général du maréchal à Frœschwiller, chez les Durckheim. En quittant le maréchal, il trouva dans un salon voisin Raoult et Ducrot en conversation très animée. Ils s’élancèrent vers lui et lui dirent : « Il est urgent que nous ne nous attardions pas sur cette position où nous allons être attaqués par des forces supérieures et que nous nous repliions sur les Vosges. Vous seul pouvez obtenir cet ordre. Le maréchal a été votre hôte, vous êtes un civil, un député ; vous lui avez inspiré confiance par votre dévouement et par votre connaissance du pays, vous aurez vis-à-vis de lui une liberté que nous n’aurions pas. » De Leusse hésita. Il craignait de se donner les allures d’un représentant du peuple en mission à l’armée. Ducrot, son ami, insista si fort qu’il se décida. Ils entrèrent tous les trois. De Leusse montra les ennemis en nombre considérable, la position trop étendue pour notre nombre restreint, l’excellence de celle de Lemberg, entre Bitche et Phalsbourg, à cheval sur l’Alsace et la Lorraine, et il indiqua les trois ou quatre routes qui y conduisent facilement. Il s’excusa de sa hardiesse : il n’intervenait qu’à la sollicitation des deux divisionnaires présens.

Le maréchal objecta qu’il ne croyait pas à une bataille pour ce jour -là, mais à une simple démonstration. En se reportant vers les Vosges, on découvrait le chemin de fer de Haguenau à Bitche, et il était bien grave d’abandonner ainsi l’Alsace sans avoir tenté de la défendre. Enfin il espérait que Failly était déjà en route. Alors les généraux démontrèrent qu’il était bien plus grave de perdre le rempart que les Vosges offraient contre l’invasion et qu’on ne pourrait peut-être plus défendre si l’on succombait dans une bataille livrée à Wœrth, tandis que dans les Vosges, accrus de Failly, nous serions inexpugnables. Le maréchal se laissa persuader. Il concéda que la retraite s’opérerait aussitôt : Raoult commencerait le mouvement, la division Ducrot le couvrirait et de Leusse irait prendre un escadron du 6e lanciers pour jalonner les routes.

Les deux généraux étaient soulagés, heureux. Raoult pria de Leusse de porter l’ordre écrit de jalonner les routes au colonel Poissonnier du 6e lanciers, campé à Reichshoffen, et il chargea un de ses officiers, le commandant Victor Thiéry, de donner les ordres nécessaires pour une retraite sur Niederbronn. Dans le parc de Durckheim, que traverse le commandant