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un projet de loi sur la limitation de la journée de travail à dix heures. Son activité s’est donné carrière sur ces trois objets à la fois.

Il est difficile de comprendre quel intérêt pouvait présenter l’interpellation sur la politique extérieure. S’il s’était agi de cette politique dans son ensemble, à la bonne heure : le débat n’aurait peut-être pas été sans danger, mais on aurait pu y dire des choses nouvelles. Comment le faire à propos du Maroc ? et c’est pourtant de lui seul qu’il s’agissait, c’est autour de lui qu’on continuait de tourner, à la manière des derviches tourneurs et même hurleurs. Eh quoi ! on a discuté le traité marocain une première fois à la Chambre et une seconde au Sénat, et la matière ne serait pas encore épuisée ! A quoi bon un troisième débat ? L’interpellation avait été déposée à un moment où, M. Caillaux étant encore ministre, beaucoup de parlementaires voulaient le renverser ; leur patriotisme les avait dissuadés de repousser pour cela le traité du 4 novembre qu’ils sentaient bien devoir voter ; mais ils s’étaient juré de faire ensuite, comme ils disaient, la lumière pleine et entière et de fixer les responsabilités. La discussion avait donc un objet pendant que M. Caillaux était ministre : à quoi pouvait-elle servir maintenant qu’il ne l’est plus, et que M. de Selves et M. Cruppi et M. Monis ont cessé de l’être eux aussi ? Un débat aussi rétrospectif sentait singulièrement le réchauffé ; mais il y a à la Chambre un certain nombre de machines oratoires qui, une fois montées, ne savent pas s’arrêter. Et puis, quelle joie de mettre des ministres en contradiction les uns avec les autres, de constater leurs hésitations et leurs faiblesses, de relever leurs fautes, enfin de donner à l’auditoire l’impression qu’on aurait beaucoup mieux fait à leur place ! M. Poincaré a fort bien vu que le moindre défaut d’une discussion de ce genre était de ne pouvoir faire aucun bien, et qu’il aurait fallu peu de chose pour qu’elle fît quelque mal : il s’est montré homme de gouvernement en prenant ses mesures pour l’abréger. Il ne pouvait sans doute pas empêcher M. Jaurès de parler ; qui l’aurait pu ? mais il pouvait, en faisant appel à leurs meilleurs sentimens, demander aux anciens ministres de se taire : il s’est chargé d’ailleurs de parler à leur place à tous et de rendre justice à chacun d’eux en particulier. Ils ont donc eu ce qui leur était dû, quelques-uns même assez largement. Tout l’effort de M. Jaurès, — il s’est prolongé pendant trois séances, — a été d’amener M. Caillaux à la tribune, dans l’espoir que, s’il y était monté, les autres l’y auraient suivi, sans doute en ver lu de la force incoercible qui animait les moutons de Panurge ; mais M. Caillaux est resté à sa place