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enveloppe et suggère tout ce théâtre où tant d’humanité se mêle à tant de finesse, où l’observation la plus spirituelle, et, par endroits, la plus pénétrante, parle une langue exquise d’agilité, de souplesse inventive, de grâce délicate et de vivante familiarité. Parmi bien des ironies et à travers bien des détours, c’est, tout au fond, la conception chrétienne que l’on retrouve et que l’on restaure, c’est la pratique des vertus chrétiennes que l’on recommande comme la meilleure et la plus sûre. « Il faut croire que l’univers existe uniquement afin que la justice y règne un jour entre les hommes, et pour que, en attendant, l’amour de la justice (qui implique la pitié et la charité) soit engendré dans les âmes par l’épreuve même de la vie... Croyons-le donc. Nom avons besoin que l’univers ait un sens, et qu’il ait celui-là. » Le subtil écrivain qui, rappelant des vers de sa jeunesse où le même sentiment est déjà exprimé, concluait par ces lignes un feuilleton sur la Puissance des Ténèbres, n’est donc pas le sceptique indifférent, le « stérile dilettante » dont il a paru parfois tenir le rôle. Il y a des idées auxquelles il tient, et qu’au besoin il saura défendre. S’il connaît les jouissances de la curiosité, il sait aussi le prix de l’action. « Si le choix m’en avait été laissé, écrivait-il un jour, j’aurais choisi d’abord d’être un grand saint, puis une femme très belle, puis un grand conquérant ou un grand politique, enfin un écrivain ou un artiste de génie. » Vous vous rappelez dans l’Aînée l’intéressant personnage de Dursay, sous les traits duquel je crois bien que M. Jules Lemaître a voulu se peindre lui-même, et qui, en tout cas, lui ressemble « comme un frère. » Dursay est un « philosophe, » un curieux, qui trouve la vie très divertissante, et les hommes très amusans à regarder. Mais Dursay n’est détaché qu’en apparence. Il vient un jour où lui aussi passe à l’action : il épouse la grave et charmante Lia. On peut voir là quelque symbolisme. Attendons-nous à voir l’auteur de l’Aînée descendre lui aussi dans la mêlée contemporaine.


VICTOR GIRAUD.