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Quelques mois plus tard, et de retour à Paris, je ne m’épargnai pas les recherches. J’allai, rue Vavin, au logis qu’avait habité Marcel ; je questionnai le curé, les vicaires, le suisse, toutes les puissances de Notre-Dame-des-Champs ; je demandai mon ami aux divers bureaux de rédaction, dans ces revues de petits éreinteurs dont il était le Ruskin autant que le Veuillot : aucun de ces messieurs ne put rien m’apprendre.


Dix ans passèrent. A mon tour, je m’acquis une renommée parisienne et, ce qui vaut mieux, de nombreux écus cosmopolites. Peintre achalandé de femmes, surtout d’Américaines, je Quittai mon atelier du boulevard Montparnasse, pour m’installer dans un coquet hôtel, à l’Avenue du Bois. Pourtant, au cours de mes succès, ma pensée évoquait parfois l’image de Lautrem. Vers quelle contrée clémente à l’idéal sa fantaisie l’avait-elle poussé ? Ou plutôt, sur quelle plage indifférente les Flots de la Méditerranée avaient-ils déposé son cadavre ?...

Mais déjà, au quartier Latin, on ne connaissait plus ce nom de gloire si turbulente. Esthètes, décadens, symbolistes, messieurs les « jeunes » avaient cessé leur assourdissant tapage ; assagis et grisonnans, ils étaient devenus de grincheux classiques, pontifians La Harpe ou ricanans Villemain, et l’indéchirable linceul de l’oubli enveloppait, tout entière, la mémoire de mon pauvre Marcellus.


GILBERT AUGUSTIN-THIERRY.