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et moralement. On fera un jour la statistique des pertes matérielles que la grève lui a causées : elle s’élèvera à de très gros chiffres. Mais ce qui n’est pas moins grave, c’est que l’Angleterre aura perdu quelque chose du prestige moral qu’elle exerçait sur le monde : on se demande si le vieux navire, ayant brisé ses ancres, ne va pas à la dérive vers un port inconnu. Sans doute l’esprit pratique de nos voisins finira-t-il par l’emporter, mais il est à craindre que ce ne soit qu’après des épreuves qui pourront être pour eux des leçons. Elles pourraient en être aussi pour nous si nous savons en profiter.


Nous parlions, il y a quinze jours, non sans quelque pessimisme, du scrutin de liste et de la représentation proportionnelle : des incidens récens ont encore augmenté nos appréhensions. L’attitude du gouvernement, qui nous avait jusqu’ici paru très nette, a tout d’un coup cessé de l’être. Nul doute que M. Poincaré ne soit resté personnellement fidèle aux principes, aux idées, aux convictions qu’il a si souvent et si fortement exprimés ; il est toujours partisan de la représentation proportionnelle, mais il semble avoir perdu quelque chose de la confiance qu’il avait ou qu’il semblait avoir de la faire aboutir. Il s’est d’ailleurs créé à lui-même des difficultés presque inextricables en s’imposant l’obligation de faire la réforme avec les seules gens qui n’en veulent pas, c’est-à-dire avec les radicaux-socialistes.

On connaît le problème : après le scrutin qui a attribué aux diverses listes les sièges auxquels elles ont droit en vertu du nombre de fois qu’elles ont obtenu le quorum électoral, que faire des restes ? Cette question est devenue le casse-tête chinois du gouvernement, de la Commission et de la Chambre. On la résout facilement dans les pays où on pratique tout simplement la représentation proportionnelle ; on y attribue les sièges restans aux listes qui ont obtenu les plus fortes moyennes ; mais notre Chambre, sous l’influence des radicaux-socialistes, n’a pas voté le principe de la représentation proportionnelle, elle lui a substitué celui de la représentation des minorités, et ce n’est pas la même chose. La représentation proportionnelle n’a pas besoin d’être définie, le mot dit tout, chaque liste a un nombre de sièges proportionné au nombre de voix qu’elle a recueillies. Il est regrettable que la Chambre ne se soit pas tenue à ce système, mais les radicaux-socialistes ont estimé qu’il ne leur donne pas ce à quoi ils prétendent puisqu’il ne leur donne que ce qui