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l’amour des belles-lettres et à la crainte de Dieu. Vers 1640, ses supérieurs lui ayant confié la direction d’un grand collège, dans sa ville natale, il n’avait pas pu se dérober à cette charge ainsi qu’il l’avait fait (et allait le faire encore maintes fois) à tous les honneurs dont on aidait voulu récompenser son mérite ; et bientôt, grâce à lui, l’intensité de la vie spirituelle avait redoublé, dans le collège, aussi bien parmi les maîtres que parmi les élèves. Le nouveau directeur s’était même improvisé architecte : sur ses plans, on avait rebâti le chœur et élargi la nef de la chapelle, ce qui avait fait désormais, de celle-ci, l’une des plus belles églises du royaume, avec la simple et forte élégance de ses proportions. Pareillement, c’est à l’usage de ses chers élèves, afin de les instruire ou de les délasser, que notre directeur était redevenu homme de lettres. Après avoir autrefois, dans sa jeunesse, composé des « poèmes héroïques » sur la Vierge et sur le saint fondateur de son ordre, il s’était mis maintenant à commenter, en de courts et substantiels « panégyriques moraux, » les évangiles des dimanches et fêtes, et puis, d’autre part, à versifier une foule d’autos, ou tragédies édifiantes, destinées à être jouées par les collégiens. Mais, par-dessus tout cela, ce maître incomparable possédait, à un degré merveilleux, l’art de se faire adorer de tous ses élèves, sans manquer cependant à les traiter avec une rigueur presque égale à celle qu’il s’était toujours appliquée à soi-même : car chacun savait, — malgré son effort à le cacher, — qu’il portait sur soi un cilice qui lui déchirait les chairs, et que ses supérieurs avaient eu, par exception, beaucoup de peine à obtenir son obéissance, lorsqu’ils avaient voulu récemment, en raison de son âge, le forcer à adoucir l’austérité habituelle de ses jeûnes. Et ainsi l’excellent homme vieillissait en paix, aimé et respecté non seulement de sa petite famille du collège, mais de tous ceux qui, à Valladolid et au dehors, avaient eu l’occasion d’apprécier la franchise ingénue de son âme d’enfant, son absolu détachement de tous les biens terrestres, et l’ardeur inépuisable de sa charité, — en attendant que, quelques années plus tard, en 1669, des milliers de personnes de toute condition se disputassent, comme des reliques, des fragmens de la pauvre robe élimée dans laquelle il venait de mourir.

Or, on raconte qu’un jour, aux environs de l’année 1656, le vieux moine vint trouver l’un de ses parens, le célèbre duc d’Ossuna, qui était à la fois son ami et son pénitent. Le charmant visage du religieux, d’un ovale délicat sous la couronne de ses cheveux blancs, s’était momentanément dépouillé du sourire malicieux et naïf qui