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choses jusqu’à une conclusion, qu’au surplus nous avions prévue depuis longtemps et qui s’imposait. Un instant, nous concevons quelques craintes ; tout le monde semble avoir pris Levaltier en grippe ; il en a trop fait ; on lui doit trop de reconnaissance : il est le gêneur. « Tu vois, observe le philosophe Bourgeot ; tu ès sorti de ton rôle : il va te falloir sortir de la maison. Qu’est-il advenu de tes projets ambitieux ? — Ah ! c’est que je n’avais pas tout prévu. Quand on veut arriver, il ne faut pas être amoureux. » Au contraire, et c’est, je crois bien, la morale de la pièce. S’il n’avait pas été amoureux, Robert Levaltier aurait-il été si clairvoyant ? C’est pour défendre la femme aimée qu’il s’est découvert tant d’ingéniosité, comme jadis, quand ils combattaient sous les yeux de leur dame, les paladins, d’un bras invincible, accomplissaient d’extraordinaires prouesses. Une dernière explication très vive entre les deux jeunes gens commence sur le mode irrité et aboutit à les jeter dans les bras l’un de l’autre. Et tout finit par un mariage.

En résumant cette comédie, j’ai laissé de côté les épisodes et les figures accessoires. Il y a d’aimables conversations, un type de ganache, M. Miran-Charville, tout à fait amusant, et un rôle de vieux sculpteur et raisonneur qui enchante toujours le public. Mais tout l’intérêt se concentre évidemment sur le personnage de Robert Levaltier. On lui a reproché une certaine incohérence ou plutôt de la contradiction. Est-il l’arriviste, comme il semblait au début ? Est-il l’amoureux, comme il apparaît à la fin ? Il est l’un et l’autre. Car il est à remarquer que son amour ne nuit pas à son ambition, et qu’il la sert au contraire. Une heureuse coïncidence fait que les intérêts de sa fortune et ceux de son cœur se rencontrent. Décidément, le roman d’un jeune homme pauvre, c’est d’épouser une jeune fille riche.

La pièce de M. Francis de Croisset est très agréablement jouée, par M. André Brûlé, qui a beaucoup de passion dans le rôle du secrétaire, par M. Cazalis qui a dessiné une silhouette de ganache impayable et par Mlle Yvonne de Bray, charmante sous les traits de l’aimable Hélène.


RENE DOUMIC.