qui, depuis lors, n’a jamais été atteint ; mais il aimait la farce de tréteaux avec coups de bâton. Et il surveillait la recette ; ce qui, au surplus, était son devoir de directeur.
Et la jalousie de Molière ? Elle va remplir toute la fin de l’acte et j’en ai trouvé cette fois les accens particulièrement poignans. On dit souvent que le travail est le meilleur remède aux maux de l’esprit. C’est une des banalités sans nombre inventées par notre indifférence aux tourmens d’autrui. Montesquieu répétait volontiers qu’il n’avait jamais éprouvé un chagrin dont une heure de lecture ne l’eût guéri ; cela prouve qu’il n’avait jamais eu de chagrins fort cuisans. La difficulté est justement d’appliquer à une étude quelconque un esprit en déroute. Armande est sortie, sous un prétexte quelconque ; elle ne rentre pas. Ah ! l’atroce angoisse de l’attente ! Irrésistiblement Molière revient à cette fenêtre d’où il guette le retour de celle qui s’attarde, où et pourquoi ? Il croit dix fois apercevoir sa silhouette, entendre le bruit familier de la porte qui se referme. Enfin c’est elle ! Il reconnaît sa voix ; elle chante : elle est si gaie ! Elle va venir, et qui sait ? peut-être sera-t-elle douce et tendre. Dans l’horreur de la séparation, l’es- prit inquiet imagine toute sorte de chimères que dissipe une présence aimée. Mais la voix s’éloigne. Armande est rentrée dans sa chambre. Elle ne viendra pas. Dépité, en rage, Molière froisse les feuillets de la pièce commencée. Allez donc travailler dans ces conditions !... C’est l’endroit de la pièce où j’ai le plus trouvé l’accent de la vérité. Cela est pris sur le vif et peint d’après nature.
Seulement, la difficulté allait être de trouver du nouveau. M. Donnay s’y est appliqué avec beaucoup d’ingéniosité. Il transporte la scène dans les confisses du théâtre, un soir qu’on joue les Fourberies de Scapin. Un sait le goût du public pour cet envers du théâtre. Il ne se lasse pas de voir ce grouillement d’actrices en costume et d’habitués ou de soupirans qui viennent faire leur compliment. Parmi eux M. Donnay a eu l’idée, qui est une trouvaille, d’introduire le grand Corneille. Nous l’avons revu avec infiniment de plaisir. « Vive donc notre vieux Corneille ! » La chronique veut qu’il ait été amoureux fort tard, et de là viendrait qu’il se fût peint, lui aussi, dans certains vieillards de son théâtre chez qui l’âge n’a pas glacé toutes les ardeurs. Il se montre auprès d’Armande fort galant, et celle-ci, pour congédier le bonhomme tout en s’amusant de lui, s’avise de lui reprocher gentiment son audace et d’imaginer que Molière s’en est ému. Corneille est tout à la fois flatté dans son amour-propre et troublé dans sa conscience. Il était, du moins on le prétend, adorable de naïveté et de gaucherie. C’est