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Donnay, tout plein de son sujet, consacrait l’an dernier à Molière. Il est toujours périlleux d’apercevoir la vie d’un homme à travers son œuvre d’écrivain. Un risque de lui prêter les aventures ou les traits de héros qui sont de i)ures créations de son esprit. Nous autres, qui n’avons pas d’imagination, si nous écrivions un livre, nous ne saurions probablement que nous raconter au public ; et ce ne serait guère intéressant. Le don du poêle consiste à prêter à des personnages imaginaires une vie plus intense que celle des êtres chétifs de la réalité. D’autre part, dans le milieu de mœurs faciles où Molière et sa femme ont vécu, certains détails de conduite ont-ils tout à fait la même importance qu’ils prennent dans une atmosphère bourgeoise et familiale ? Dans cette troupe de comédiens, longtemps ambulante, une aimable promiscuité était la règle ou l’habitude. On s’aimait en troupe et la condition de mariage n’y changeait pas grand’chose. Molière n’a pas épousé sa fille, mais il a épousé la fille de sa maîtresse : cela prouve, à tout le moins, qu’il n’était pas d’une délicatesse très scrupuleuse et qu’il ne se faisait pas de la femme et de la vie conjugale l’idéal dont on souffre.

Que cette conception d’un Molière torturé par la jalousie, et qui nous en fait la confidence dans chacune de ses pièces, soit d’ailleurs juste ou fausse, peu importe ici : elle est scénique, elle l’est éminemment, et c’est tout ce qu’il nous faut. L’historien et le critique peuvent faire leurs réserves : l’auteur dramatique la choisira de préférence à toute autre. Et c’est guidé par son instinct du théâtre que M. Maurice Donnay l’a adoptée d’enthousiasme. Il a vu du premier coup d’œil, le parti qu’il en pouvait tirer. En outre, elle est familière au public que toute autre image de Molière déconcerterait. Admettons-la donc comme imposée en quelque sorte à l’auteur par les exigences actuelles de la scène. Et cherchons seulement comment M-. Donnay l’a mise en œuvre.

Le sujet ne comportait guère une pièce de composition très serrée. M. Donnay a dû adopter le système usité pour les comédies historiques : une série de tableaux ayant chacun pour objet de représenter Molière sous un aspect différent, et de nous faire connaître tour à tour l’amoureux, le mari, l’auteur, le comédien, le protégé du Roi, l’ennemi des courtisans et la victime des médecins. Mais, au fait, ce système n’est-il pas souvent celui même auquel Molière a recours dans telles de ses comédies et des plus fameuses ? On sait qu’il n’était pas très sévère sur les dénouemens : il n’eût pas souscrit à la théorie de Dumas fils, qu’il faut, avant de commencer une pièce, avoir trouvé