Béjart a servi après la mort et auprès de la postérité celui qu’elle a, de son vivant, si parfaitement désolé. Un moraliste veut-il tracer, comme on disait jadis, le « caractère » du jaloux ? le mari d’Armande lui en fournit aussitôt le type, et avec quel puissant relief ! Quel jaloux qu’un jaloux qui s’est appelé Molière ! Car nous voulons croire que tout est grand dans l’âme d’un grand homme. Illusion peut-être, mais il n’est pas contestable que nos souffrances s’augmentent de l’attention que nous leur prêtons et s’avivent par l’acuité du regard intérieur. Or le « Contemplateur » est un de ceux qui ont pénétré le plus avant dans l’étude du cœur humain. Ajoutez qu’en docile héritier de la tradition gauloise, il a, dans tout son théâtre, poursuivi de ses sarcasmes le mari trompé. Cette ironie est cruelle et nous le fait davantage prendre en pitié.
Du moins en est-il ainsi depuis les romantiques. Ce sont eux qui ont accrédité une interprétation du théâtre de Molière encore aujourd’hui communément reçue. Ce sont des lyriques. Ils conçoivent toute la littérature comme une perpétuelle confession : d’après eux, le poète fait, avec ses grands chagrins, de petites chansons ; ses festins ressemblent à ceux du pélican légendaire. En application de cette théorie, Molière n’aurait cessé d’emprunter aux épisodes de son existence et aux aventures de sa sensibilité l’étoffe même de son œuvre. Son premier biographe ne nous dit-il pas qu’il se joua souvent lui-même sur les affaires de son « domestique ? » C’est le mot que nous traduisons par celui de « ménage. » Peintre qui fait son propre portrait, auteur dramatique qui se met lui-même en scène, il est tour à tour Ariste, Arnolphe, Alceste, pour finir par être l’Argan du Malade imaginaire qui fait à-la médecine et aux médecins cette farce suprême de mourir en scène.
Une autre manie des romantiques était de découvrir partout de la mélancolie, comme ce chimiste qui trouvait de l’arsenic dans des bâtons de chaise. Pour admirer un auteur, il fallait d’abord qu’ils le travestissent en Werther. Ils avaient d’ailleurs le goût de l’antithèse qui fut, pour le chef de l’école, le procédé habituel et la forme tyrannique de son génie. Le comique ne leur agréait qu’à condition d’être mêlé au tragique et de faire contraste avec lui. Quelle gageure admirable de faire entrer le tragique dans l’œuvre de celui même qui est, à lui seul, toute la comédie ! Soudain le théâtre de Molière, où jusqu’alors on n’avait perçu que l’éclat des rires, s’emplit d’un bruit de sanglots.
Je ne crois pas cette interprétation fort exacte. J’ai eu l’occasion d’en faire la remarque, à propos des brillantes leçons que M. Maurice