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d’épancher son âme ardente et tendre, enthousiaste et spontanée.

Certes, à Milan déjà, on peut se faire une idée de son art à San Maurizio, à la Brera où sont déposés de nombreux fragmens et notamment l’admirable Ensevelissement de sainte Catherine, ou encore devant la Pietà de S. Maria della Passions, cette église dont la façade rococo porte, à demi effacée, l’inscription qu’immortalisa Maurice Barrès : Amori et dolori sacrum. On le pénètre mieux encore à Lugano, dans cette modeste église de S. Maria degli Angeli où il peignit, sur le mur du jubé, sa plus vaste composition. Toute la Passion y est représentée, avec ses multiples épisodes ; et plus de cent cinquante personnages participent à l’action. L’ensemble est un peu froid et l’on sent la peine que dut avoir l’artiste pour ordonner une mise en scène si théâtrale et si compliquée ; mais il y a des détails délicieux, et rarement Luini conçut des figures plus émouvantes que le saint Jean pathétique faisant son vœu au Christ mourant, ou que la Madeleine agenouillée au pied de la croix, et qui sourit d’extase sous ses longs cheveux d’or.

À Saronno, l’espace était plus grand encore ; mais il se divisait en une série de panneaux où le peintre pouvait distribuer son travail à sa guise. N’étant gêné ni par le temps, ni sans doute par un programme fixé à l’avance, Luini n’eut d’autre règle que sa fantaisie. Il se mit tout entier dans l’œuvre, avec toutes ses qualités et tous ses défauts.

Pour arriver à Saronno, il faut traverser un coin de la plaine lombarde, sur ces routes poudreuses qui deviennent assez vite monotones, parce qu’elles sont tracées en quelque sorte entre deux haies de verdure. Cette campagne fertile serait belle à voir… si elle était visible, comme dit l’abbé Coyer, qui regrettait nos grandes routes de France, où les arbres qui les décorent et les ombragent n’offusquent point la vue. Pourtant, il y a des coins charmans, des paysages d’églogue, surtout lorsque court, de chaque côté du chemin, le gros ruban des treilles d’arbre en arbre attaché. Ces vignes suspendues aux ormeaux inspirèrent de tous temps ‘les poètes ; déjà Ovide, dans une pièce de ses Amours, les invoquait pour exprimer sa tendresse et ses regrets de l’absence de Corinne :


Ulmus amat vitem, vilis non deserit ulmum.
Separor a domina cur ego sæpe mea ?