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via Giulia, avec l’énorme palais de Saint-Blaise, devait être la rue des services publics, des ministères et des bureaux ; à droite, la Lungara faisait communiquer le Vatican au Transtévère. Enfin, le Vatican lui-même, chaos de monumens et de siècles, de richesses et de bicoques, devait, complètement refondu, entrer dans un système de constructions régulières, à commencer par la basilique de Saint-Pierre, qu’on jetait bas pour la relever plus haute et plus splendide ; cependant qu’une troisième voie, sacrée et triomphale, se trouvait projetée à travers le cœur de Rome, pour relier, en longeant le Forum, le palais de Venise au Latran.

Il est difficile de juger ces entreprises immenses : l’histoire des plans de Bramante n’est guère que celle d’un rêve. Pas une de ces œuvres ne fut réalisée telle qu’il l’avait conçue. Du palais de Saint-Blaise, il ne reste que les fondemens aux bossages cyclopéens. Le Belvédère lui-même avec son colossal exèdre, a été niaisement mutilé, défiguré. Quant à Saint-Pierre, qui pourra dire, — après cent cinquante ans d’altérations et de contresens, — ce qui lui reste encore de la forme dictée par son premier auteur ? « La coupole du Panthéon planant sur les arcades du temple de Constantin, » — c’est-à-dire l’assemblage ou la conjugaison des deux formes séparément les plus grandioses qui aient surnagé au désastre de la pensée antique, — tel est le programme babylonien que Bramante proposait à l’enthousiasme de Jules II. On sait que le plan choisi était le plan central : l’édifice présentait la figure d’une croix grecque. Chaque abside se terminait par une demi-coupole, et ces sphères étagées se couronnaient au sommet par une sphère plus vaste, comme une pyramide de dômes. On entrevoit quelque chose comme une Sainte-Sophie géante ou comme un prodigieux Saint-Marc : mais quatre tours inattendues venaient flanquer la masse centrale de leurs minarets bizarres, écharper la silhouette et donner à l’ensemble une apparence fantastique. Cependant ces quatre campaniles se reliaient au corps de l’église par des portiques d’ordre dorique. On a peine à se faire une idée de ce mirage étrange. Qu’eût été cette Babel de formes composites, où fusionnaient audacieusement les thèmes les plus divers, tous les mondes de l’architecture ? Quel effet devait produire ce mélange de motifs, amalgame de flèches, de frontons, de coupoles, où parlent à la fois toutes les voix humaines, la Grèce, l’Asie. l’Europe gothique ? Quelle harmonie eût résulté de cette incomparable polyphonie monumentale ? Qui sait ce que le grand virtuose se fût réservé d’y ajouter par le charme de l’exécution, la poésie du style,