Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 8.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sont des faits qu’il faut ne pas perdre de vue, en écrivant l’histoire des transformations de Rome : ces transformations ont été exigées par un intérêt politique. Le pouvoir temporel, objet des papes de la Renaissance, supposait à sa base la possession de Rome. Comme Versailles est né du cauchemar de la Fronde, le premier coup de pioche donné à la vieille Rome fut avant tout porté au régime féodal. Les papes, en perçant des avenues, en éventrant d’anciens quartiers, en faisant circuler dans la ville obstruée un flot d’air et de vie, poursuivaient une tâche de réorganisation sociale. On excusera certains de leurs excès de zèle, en comprenant qu’ils s’inspiraient non de la vanité ou de l’ostentation, mais d’une véritable nécessité d’État.

Les travaux commencèrent au milieu du XVe siècle. Mais c’est seulement à la fin, sous le règne de Sixte IV, qu’un premier plan d’ensemble apparaît dans toute son ampleur. Le lecteur de la Revue a présens à l’esprit les beaux articles de Julian Klacszko ; il se rappelle sa description de la fresque de Melozzo, où trône le vieux pontife entouré de ses quatre neveux, dont l’un, le cardinal Giuliano délia Rovere, est le futur Jules II. Sixte IV, Jules II, voilà les créateurs de la Rome moderne. C’étaient, tous ces Rovere, une race de bâtisseurs, des tempéramens d’épopée, d’une vigueur verdoyante dont leur nom de chênes paraît le naturel symbole ; c’est plaisir de voir, sur les monumens de leur pontificat, blasonner leur feuille de rouvre : elle ne couronne que des souvenirs de grandeur. On appelle Sixte IV le baron Haussmann de la Renaissance ; il y a pourtant une nuance entre la plaine Monceau et les collines romaines, comme entre l’Opéra et la chapelle Sixtine.

Sixte IV était de ces remueurs de pierres qui, à la place d’une Rome de briques, en laissent une de marbre. Il fut pourtant bien dépassé, même sur ce terrain, par son neveu Jules II. Celui-ci était d’abord un souverain d’une autre envergure que son oncle. L’Italie, si fertile en tyrans de génie, n’en a pas eu de mieux doué pour la conquête et la victoire. Cet homme de proie osait rêver l’unité nationale, et il ne fut pas loin de la faire à son profit. Raphaël, dans quelques portraits inoubliables, nous a laissé l’image de ce tumultueux vieillard, au poil de vieux bon. On peut se faire une autre idée d’un pasteur de la chrétienté ; mais ce barbon terrible commande le respect. Personne n’a eu l’âme plus naturellement intrépide. Toutes ses créations portent la même marque héroïque. Il va sans dire que ses desseins, en ce qui concerne Rome, excèdent singulièrement de simples mesures d’édilité : il s’agissait pour Jules de