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de commerce ne vont plus jusqu’au mélange et à la presque identité, comme au temps des corsaires. Ainsi le faisceau naturel si judicieusement lié jadis par la loi d’Inscription maritime se dénoue par la force des choses.

L’état actuel du recrutement présente, avons-nous dit, un troisième inconvénient, relatif aux réserves. L’inscrit n’est soumis à aucun autre service militaire que celui de la flotte. Mais la flotte est toujours mobilisée ou peu s’en faut. Un bateau ressemble à une usine, et par endroits à un cabinet de physique : la délicatesse de ses organes mécaniques ne supporte ni l’inaction ni l’abandon momentané. Il faut à la flotte, en permanence, presque tout son personnel. A défaut d’une levée suffisante, elle le complète par des engagemens volontaires. Mais que deviendront ses réservistes ? On a beaucoup loué l’Inscription maritime de nous assurer d’importantes réserves. D’abord la même abondance se retrouve partout où existe le service obligatoire, en Allemagne par exemple. Ensuite elle n’est un avantage qu’en apparence. L’Angleterre, les Etats-Unis, qui ne font appel qu’aux engagemens, ne forment presque pas de réserves : l’homme, une fois débarqué, n’est plus soumis à aucun lien. Dans ce cas on garde nécessairement en temps de paix sous les drapeaux tout l’effectif de guerre. Ce sont, nous venons de le dire, les meilleures conditions pour l’entretien d’une marine

Chez nous, on comptait, au 10 octobre 1908, 86 406 hommes mobilisables en temps de guerre pour la marine, qui n’en eût utilisé que fort peu. De ces réservistes, plus de 45 000 étaient matelots de pont, et il en fallait à la flotte au maximum 2 000. Ajoutez nombre de réformés qui se trouveraient encore capables d’un service à terre, puis les marins trop âgés pour être pris à bord, mais bons pour le régiment : au total, bien au delà d’un corps d’armée, qu’on pourrait envoyer à la frontière et que la loi dispense de son devoir. Car les inscrits ont droit de ne servir qu’à la marine ; et c’est la loi même, qui les régit, qui organise en temps de guerre une véritable grève des bras croisés.

Est-il nécessaire, pour aboutir à ce résultat, de payer aux frais du budget naval des retraites commerciales ?

Il faut une loi nouvelle. Il la faut pour satisfaire aux besoins de la marine, nous venons de le voir ; aux exigences de l’égalité, nous l’avons vu aussi ; à celles de l’esprit de justice, car l’Inscription maritime fut un marché jadis équitable qui réalisait