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avait noté leur intonation en vue d’un Te Deum que l’on devait chanter dans la basilique.

La bénédiction du nouveau carillon fut faite en grande pompe. Le duc des Abruzzes, représentant la Maison de Savoie, présidait la cérémonie, avec, comme officiant, le cardinal Cavallari, patriarche et ami personnel de Pie X. Comme les anciennes, les nouvelles cloches portent des inscriptions : « La Marangona ayant survécu par miracle à la ruine de la vieille tour. Pie X, souverain pontife, ancien patriarche de Venise, a fait refondre à ses frais les morceaux des autres cloches, le huitième jour des calendes de mai 1909, Victor-Emmanuel III étant roi d’Italie, Aristide Cavallari cardinal... » Pour la première fois, une inscription mentionne à la fois le nom du souverain pontife et celui du roi d’Italie.

L’essai officiel du carillon eut lieu le dimanche de la Trinité ; un gramophone enregistra la première volée et la municipalité fit hommage au Saint-Père de ce document original.

Tout était désormais rétabli ; on avait même reconstruit morceau par morceau, le petit chef-d’œuvre de la renaissance italienne, la Loggetta, y compris le groupe en terre cuite dorée de la Vierge avec l’Enfant et saint Jean. Avec une patience angélique, M. Pierre Zei, du musée archéologique de Florence, a rapproché les milliers de fragmens recueillis çà et là dans les décombres, comme des paillettes d’or dans le sable d’une rivière. On a replacé dans les niches les statues de bronze (Apollon, Minerve, Mercure, la Paix) et les délicieux bas-reliefs de l’attique : la Charité, la Justice, Neptune...

Venise a été privée de son campanile pendant dix ans. Un nouveau clocher, copié sur l’autre, jaillit aujourd’hui du sol de la Place, devant l’antique basilique, au lieu précis où se dressait le précédent. L’illusion est-elle complète ? Oserait-on l’affirmer, même pour un Vénitien ?

Sans doute, Venise vue de la rade a repris son aspect d’autrefois. Mais le colosse actuel n’est que le fantôme de l’autre ; c’est presque un anachronisme auprès des monumens vénérables qui constituent le patrimoine artistique incomparable de la Reine des Lagunes.


COMMANDANT DAVIN.