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— dans l’affaire d’Egypte par exemple — ces changemens ont été funestes à nos intérêts. Parmi les reproches adressés par les oppositions à la politique de Jules Ferry et de ses successeurs, beaucoup s’expliquent, dans ce qu’ils ont de justifié, par cette instabilité, par la perpétuelle crainte de l’interpellation, » de l’incident parlementaire. Et cependant, quand on cherche à discerner les grandes lignes de la politique française depuis Gambetta, et même depuis Thiers et Decazes, jusqu’à M. Hanotaux inclusivement, on découvre la continuité d’un même esprit et d’une même méthode. Les présidens Grévy, Carnot, Félix Faure ont été les gardiens de cette pérennité salutaire. Sauf la lointaine Russie, à laquelle elle s’est alliée avec un remarquable sens des réalités politiques permanentes et supérieures aux formes transitoires des gouvernemens, la France n’a choisi personne ; elle s’est défiée, selon le conseil de Gambetta, « des sollicitations téméraires ou jalouses ; » elle s’est mêlée au grand courant de la vie et des affaires en y gardant son deuil et la dignité de ses regrets ; elle a restauré, augmenté ses forces ; elle a constitué un beau domaine colonial. Elle ne s’est pas « hypnotisée » sur la « ligne bleue des Vosges, » mais elle ne l’a pas perdue de vue. L’instabilité propre aux régimes démocratiques n’a pas permis aux hommes qui l’ont gouvernée de réaliser tous leurs espoirs, ni de développer toutes leurs pensées ; mais plusieurs d’entre eux ont connu les longs espoirs et les vastes pensées. Ne croyant pas pouvoir, dans l’état de la France, de l’Allemagne et de l’Europe, modifier l’équilibre établi par les traités, ils se sont engagés dans une politique d’expansion ; certains d’entre eux ont même cru entrevoir la possibilité de trouver, dans les colonies, les élémens d’une solution à la question dont on « ne parlait jamais. » On saura peut-être un jour si, à certains momens, cette idée n’a pas été envisagée, en Allemagne aussi, parmi les possibilités de l’avenir, par quelques hommes d’Etat. En tout cas, pour attendre que de profondes modifications internes dans la constitution de l’Europe ou de l’Empire allemand lui-même ramènent l’heure de la « justice immanente, » l’acquisition d’un Empire n’était pas une occupation indigne de nos énergies nationales et de nos gloires françaises.


RENE PINON.