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violer elles-mêmes, quelques mois plus tard, le principe qu’elles avaient sauvegardé contre le Japon. — Quelques semaines après que les diplomaties française, russe et allemande, avaient travaillé de concert en Extrême-Orient, Guillaume II inaugurait officiellement le canal de Kiel (18 juin 1895) ; une escadre française parut à cette cérémonie avec une escadre russe. Depuis son avènement, l’Empereur saisissait toutes les occasions de témoigner à la France des sentimens courtois. Lors de l’assassinat du président Carnot, le télégramme impérial, conçu en termes particulièrement bien choisis, arriva le premier. Dans une circonstance récente, l’Empereur venait de conférer « l’Aigle Rouge » au général Billot. Le temps des mauvais procédés bismarckiens était fini, L’Empereur ne se cachait pas de souhaiter un rapprochement avec la France. Refuser l’invitation à nous faire représenter à Kiel avec les autres grandes puissances eût été un procédé discourtois, indigne de la France, et que ne méritait pas le jeune souverain. Un ton rogue, une attitude boudeuse n’étaient plus de saison et ne convenaient ni à la dignité de nos regrets, ni au caractère de nos espérances.

L’ouverture du canal de Kiel est une date importante dans l’histoire des relations de la France avec l’Allemagne et l’Angleterre. Pour la première fois, en présence de l’Europe, l’Empire allemand s’affirme comme une grande puissance maritime. En Extrême-Orient, en Afrique, il achève de jeter les bases d’établissemens coloniaux destinés surtout à servir de ports de relâche à ses navires marchands, de points d’appui à ses vaisseaux de guerre, d’entrepôts à ses produits fabriqués. C’est l’aurore de la Weltpolitik dont Guillaume II prêche l’évangile. En même temps, par une conséquence naturelle, une rivalité commence à se dessiner entre la première grande puissance maritime, la Grande-Bretagne, et l’Empereur qui a dit : « Notre avenir est sur l’eau. » Ayant déjà étudié ici la Rivalité de l’Allemagne et de l’Angleterre (1er mars 1909), nous nous contentons de situer à sa date le moment où commence à se marquer nettement cette nouveauté qui allait avoir de si grandes conséquences dans la politique européenne et mondiale. Il était naturel que cette orientation nouvelle de la vie économique et politique de l’Empire allemand et cette rivalité naissante avec l’Angleterre sur les mers et dans les colonies fissent naître des circonstances où les intérêts allemands et les nôtres se trouveraient