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De là l’immense popularité de l’alliance, traduite magnifiquement par les fêtes de Toulon et de Paris : la France vibrait joyeusement au spectacle de sa propre résurrection. L’alliance, conclue en 1891 par le Cabinet Ribot, a un caractère défensif ; elle assure à la France la sécurité ; elle sert de contrepoids, de frein, à la Triple Alliance menaçante ; elle nous apporte une force dans les négociations et, le cas échéant, dans la guerre.

Un effet, peut-être inattendu, de l’alliance russe fut, en leur ôtant toute apparence humiliante, de rendre plus faciles au gouvernement français des conversations diplomatiques, voire des ententes sur certains points particuliers, avec le Cabinet de Berlin. Notre expansion coloniale en fut, par suite, rendue plus aisée, moins dangereuse. Il est, en effet, de toute évidence que, depuis 1870, la France ne peut pas s’engager dans une entreprise d’expansion hors d’Europe, avant de s’être assurée qu’elle ne sera pas, pendant ce temps, attaquée ou menacée sur sa frontière de l’Est. L’alliance russe nous apporte, à ce point de vue, une garantie précieuse, elle nous aide à pressentir les intentions de l’Allemagne, à connaître ses dispositions et, au besoin, à traiter avec elle des intérêts qui peuvent se trouver communs à elle et à nous. A partir de 1884, Bismarck d’abord, puis, avec plus de décision et de persévérance, l’empereur Guillaume II, se lancent à leur tour dans la politique d’expansion et cherchent à constituer un domaine colonial. Les Allemands vont donc se trouver en contact avec les Français en Afrique et en Asie ; leurs intérêts y seront parfois concurrens des nôtres, mais, parfois aussi, ils seront, les uns et les autres, en opposition avec les intérêts anglais.

C’est le temps où l’Angleterre se complaît dans son « splendide isolement. » Elle n’admet pas sans mauvaise humeur que d’autres nations prétendent participer au partage du monde. Elle agit souvent avec une morgue et une intolérance injustifiables. Elle occupe l’Egypte contre tout droit et, malgré ses engagemens réitérés, elle se refuse à l’évacuer ; elle suscite partout des obstacles à nos explorateurs, à nos commerçans ; dans l’Ouganda, elle fait massacrer les noirs catholiques qui se réclamaient de la France ; elle travaille à établir son protectorat sur le Maroc ; elle excite, au Touat, les Marocains et les Touareg contre l’Algérie ; elle encourage, à Madagascar, au mépris de nos droits formellement reconnus par elle, les intrigues des pasteurs