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malentendus ; elle peut éclairer certaines incompréhensions. Nous venons de traverser une crise dramatique qui, si elle paraît résolue pour un temps dans les chancelleries, reste encore, pour deux grands peuples, troublante comme une énigme, angoissante comme une menace. Que seront, dans les années prochaines, les relations de la France avec l’Allemagne ? Allons-nous, comme on l’entend dire, vers cette guerre si souvent prédite et toujours évitée ? Verrons-nous au contraire s’apaiser les ressentimens, se tendre les mains ? Ou la situation instable, provisoire, qui dure depuis si longtemps va-t-elle se prolonger encore ? Cette question n’intéresse pas seulement au plus haut point la France et l’Allemagne, elle tient en suspens tout l’avenir de l’Europe. A bien voir les choses, il n’y a, en Europe, que deux problèmes dangereux : l’inimitié franco-allemande, conséquence de l’annexion de l’Alsace-Lorraine par le nouvel Empire germanique, et la rivalité économique et maritime de l’Angleterre et de l’Allemagne. Les autres difficultés, si inquiétantes qu’elles puissent paraître, seraient presque vidées de leur venin si celles-là ne venaient se mêler à elles pour les dénaturer et les aggraver. Plus de quarante moissons ont mûri sur les champs de bataille de la grande guerre ; mais d’avoir si longtemps vieilli sans rien perdre de sa virulence et sans aboutir ; à une guerre, caractérise la nature du différend qui dresse en face l’une de l’autre la France et l’Allemagne, formidablement armées. Ce n’est point aujourd’hui notre objet de revenir sur la raison profonde de ce conflit latent. Elle est écrite dans tous les cœurs français, et il ne deviendrait nécessaire d’en parler à notre pays que s’il venait à n’y penser plus. Qu’il nous suffise, avant de commencer ce raccourci d’histoire, d’affirmer une fois de plus qu’entre les Allemands et nous, il n’existe qu’une seule source de difficultés, une seule raison d’inimitié, la question d’Alsace-Lorraine.

En essayant de retracer et de caractériser les grandes phases des relations de la France avec l’Empire allemand depuis 1870, nous n’avons pas l’ambition de révéler des détails nouveaux ou peu connus, ni de résoudre des controverses : nous voudrions seulement montrer l’enchaînement des faits et de leurs conséquences, des fautes et de leur rançon, des illusions et de leur déception. Nous chercherons le fil qui relie les événemens, l’armature qui les rassemble, la méthode qui les conduit.