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ceux à qui nous avons donné des gages les conserveraient : seuls, nous resterions sans rien. Si c’est là le rôle que vous voulez faire jouer à ce pays, dites-le-lui ; il ne vous suivra pas. Et, à l’égard de l’Europe, quelle sera votre situation ? Vous avez demandé à toutes les puissances de mettre leurs signatures au bas de ce traité : s’il est déchiré, trouverez-vous demain un gouvernement pour demander à ces mêmes puissances de les reprendre ? Et, si vous trouvez ce gouvernement, quel crédit et quelle autorité aura-t-il dans le monde ? » Il était impossible de mieux poser la question. Toute une série d’actes que l’on peut, suivant les opinions, approuver ou condamner, nous ont conduits au point où nous sommes. Ces actes appartiennent désormais à l’histoire ; elle dira plus tard ce qu’il faut en penser ; mais nous, aujourd’hui, nous avons seulement à nous demander ce que sera demain dans les deux seules hypothèses entre lesquelles nous devons choisir : le vote ou le rejet du traité. Si le traité est voté, nous en assumerons les charges, qui seront graves, mais nous en aurons les avantages qui seront le couronnement de tout un siècle de politique africaine. S’il est rejeté, nous serons dans l’alternative ou d’un recul qui serait une abdication et une humiliation, ou d’un conflit avec l’Allemagne qui, cette fois, serait sérieux. Tel est le dilemme dans lequel M. Ribot a étroitement enfermé les adversaires du traité : aucune échappatoire ne leur restait. Le Sénat a vainement attendu leur réponse : ils n’en ont point fait.

Lorsque, le moment venu, M. Poincaré est monté à la tribune pour faire intervenir le gouvernement dans le débat, il a repris l’argumentation de M. Ribot pour aboutir à ce même dilemme. Il a constaté, à son tour, qu’on n’y avait encore rien répondu et a émis discrètement l’espoir que M. Clemenceau le ferait. Mais M. Clemenceau s’est contenté de dire : — Eh bien ! quoi ! les Allemands ne seront pas contens, voilà tout ! — Et M. Gaudin de Villaine s’est écrié : — Bravo ! c’est une parole bien française. — C’est peut-être seulement une parole bien légère : ne venons-nous pas de voir, depuis plusieurs années, de quelle entrave est pour notre politique le mécontentement des Allemands ? Ce n’est, à coup sûr, pas une raison pour nous incliner devant toutes leurs exigences, ni pour céder tout ce qu’ils nous demandent, mais l’avons-nous fait ? et le traité du 4 novembre est-il donc aussi mauvais que le prétendent ses adversaires ? Si nous avons fait des concessions, est-ce que l’Allemagne n’en a pas fait aussi et de plus considérables encore, puisqu’elle a levé le veto qu’elle avait opposé à notre protectorat et singulièrement réduit les