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volumes une autre production littéraire qu’il aurait peut-être mieux valu nous laisser ignorer ? Non pas, cependant, que celle-là fût d’une authenticité douteuse : l’esprit et la main de Tolstoï se trahissent à chaque ligne des quatre premiers actes, entièrement écrits, du grand drame qui devait s’appeler : La Lumière qui brille dans les ténèbres, Mais je continue toujours à penser que nulle obligation littéraire ou morale ne contraint les héritiers d’un écrivain illustre à nous révéler des pages que cet écrivain lui-même n’a pas jugé à propos de nous faire connaître, lorsque la lecture de ces pages risque trop manifestement de compromettre la mémoire de leur auteur, soit en nous initiant à telle faiblesse de son caractère, ou en étalant sous nos yeux des incidens de sa vie privée qu’il aurait préféré nous tenir cachés. Voici d’ailleurs, en quelques mots, le sujet de ce drame inachevé, œuvre à la fois troublante et superbe, témoignage saisissant de l’extraordinaire vocation d’ « homme de lettres » qui poussait irrésistiblement Tolstoï à transformer en « littérature » jusqu’aux plus intimes et douloureux battemens de son cœur :

Le héros du drame s’appelle Nicolas Ivanovitch Sarintsef ; niais c’est là, je crois bien, l’unique différence qui le sépare de Tolstoï lui-même, du moins quant à sa condition et aux circonstances extérieures de sa vie. Noble et riche, — un vrai grand seigneur, — il possède un hôtel particulier à Moscou et un château dans un village « des environs de Toula. » Il a une femme, Marie Ivanovna, avec qui il s’est marié par amour, sans qu’elle fût d’un rang ni d’une fortune comparables aux siens ; et ceux de leurs enfans dont nous pouvons entrevoir un peu nettement la figure, au cours de la pièce, semblent également rappeler d’assez près ce que l’on nous a appris du caractère et du rôle des nombreux enfans du comte et de la comtesse Tolstoï. Le premier acte se déroule dans le château des Sarintsef, que l’auteur ne nous a point nommé, mais que rien ne nous empêcherait d’appeler : Iasnaïa Poliana. Dès le lever du rideau, la situation dramatique nous est exposée avec cette simplicité de moyens et cette vigueur de relief dont l’absence étonnera toujours les lecteurs du Cadavre Vivant. D’une conversation entre Marie Ivanovna, la femme de Sarintsef, sa sœur Alexandra, et le mari de celle-ci. Pierre Kokoftsef, il résulte que Nicolas Ivanovitch vient de découvrir le vrai christianisme. Écoutons d’ailleurs le début de l’entretien :


<poem> PIERRE. — Mais enfin, qu’est-ce qu’il veut ? Explique-nous cela ! MARIE. — Lui-même, hier, vous a tout expliqué !