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des moindres comédies ou « moralités » écrites autrefois par Tolstoï à l’intention des paysans de son village.

En Russie, cependant, cette médiocrité foncière du Cadavre Vivant ne semble pas avoir empêché les compatriotes du comte Tolstoï d’accueillir sur-le-champ avec des transports d’enthousiasme l’œuvre posthume de leur grand écrivain national. De soir en soir, la pièce continuait à y être saluée d’acclamations frénétiques, lorsque tout d’un coup, il y a deux ou trois mois, les journaux russes publièrent la protestation d’un ancien confrère et ami de Tolstoï, qui se disait le seul auteur véritable du Cadavre Vivant. Ayant assisté par hasard à une représentation du drame, il avait eu l’agréable surprise de constater que ces péripéties, ces tirades, qui émerveillaient la foule des spectateurs autour de lui, reproduisaient intégralement le contenu d’un manuscrit envoyé naguère par lui à son illustre confrère, mais sans que ce dernier, probablement, eût jamais trouvé le loisir d’y jeter les yeux. Le manuscrit était resté enfoui dans un des tiroirs de Iasnaïa Poliana ; Tolstoï, et peut-être l’auteur lui-même, en avaient oublié l’existence ; et c’est ainsi que les héritiers du maître avaient eu l’illusion d’exhumer et de révéler au monde un « pendant » inédit de la Puissance des Ténèbres !

Voilà, du moins, ce que j’ai lu dans les journaux russes. Et comme pourtant le Cadavre Vivant a pris place, depuis lors, dans l’édition complète des Écrits Posthumes du comte Tolstoï, il se peut que la réclamation du confrère susdit n’ait pas réussi à s’accompagner de preuves documentaires assez convaincantes pour que les héritiers de l’auteur de Résurrection se crussent forcés d’avoir à en tenir compte : mais, en tout cas, le drame, à supposer même que son manuscrit fût incontestablement de la propre main de Tolstoï, ne méritait pas de nous être présenté comme une œuvre authentique de l’admirable écrivain. Sa présence fait tache dans le volume où il vient d’être recueilli ; et, malgré la qualité éminemment inégale de la vingtaine de romans, nouvelles, contes, essais dramatiques, etc., qui constituent l’ensemble de ce qu’on pourrait appeler le testament littéraire du comte Tolstoï, il n’y a pas dans le reste des trois volumes des Écrits Posthumes une seule page qui, en comparaison de la froide et emphatique nullité du Cadavre Vivant, ne nous paraisse animée d’une beauté singulière, toute frémissante de verve satirique ou d’ardente passion, toute marquée du sceau du génie créateur.


Avouerai-je, après cela, que j’ai trouvé encore dans ces trois