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qui fait tout le plaisir de la tragédie. » Il semble que, parlant ainsi, dans la préface de sa Bérénice, Racine ait parlé même pour les musiciens. La suite les regarde encore et pourrait les aider, parmi tant de sujets, à distinguer les meilleurs. « Ce qui m’en plut davantage » (du sujet de Bérénice), « c’est que je le trouvai extrêmement simple. Il y avait longtemps que je voulais essayer si je pourrais faire une tragédie avec cette simplicité d’action qui a été si fort du goût des anciens.

« Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien et que tout ce grand nombre d’incidens a toujours été le refuge des poètes qui ne sentaient dans leur génie ni assez d’abondance ni assez de force pour attacher durant cinq actes les spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions. »

Telle est, en effet, l’action de Bérénice, et, parce qu’elle est telle, un musicien de théâtre avait les raisons les plus fortes, et les plus musicales même, de la mettre en musique. Mais ce musicien la mit d’abord en prose, et si le respect, le bon goût défendait que cette prose, même rythmée et parfois rimée, empruntât rien à la poésie de Racine, il eût cependant permis entre l’une et l’autre un peu moins de différence. Le héros et l’héroïne de M. Magnard parlent, en chantant, un langage qui ne mérite pas toujours d’être chanté. Il arrive même à l’héroïne de chanter, en ce langage, des choses dont on ne parle guère. Et cette première application de la musique à certains cas, à certains détails de physiologie, n’a pas laissé de paraître désobligeante.

Mais surtout, et voilà le grand, le vrai, même l’unique malheur, c’est à la psychologie du sujet que la musique s’est appliquée en vain. Ce sujet, elle ne l’a pas transposé de l’ordre poétique dans l’ordre sonore, elle ne l’a pas marqué de son signe propre et mélodieux. Bérénice et Titus n’ont pas reçu d’elle une forme nouvelle et comme un autre mode de la vie. Or, n’ayant pas fait cela, qui seul importe, la musique n’a rien fait. « Invitus invitant. » Le musicien a bien senti la force, l’ampleur aussi de la formule, et que toute son œuvre y était comme en puissance. « Elle peut se traduire en musique, » a-t-il écrit dans sa préface. Mais la traduction musicale, il ne nous l’a pas donnée. En sa musique, ou par sa musique, les personnages n’existent pas ; rien n’y est sensible de leurs passions, de leurs âmes : ni le fond, qui demeure, ni même, — et beaucoup moins encore, — les oscillations, les détours et retours et comme l’éternel va-et-vient.