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REVUE MUSICALE


THEATRE DE L’OPERA-COMIQUE : Bérénice, tragédie en musique en trois actes ; paroles et musique de M. Albéric Magnard. — Lettres de Schumann.


Sous plus d’un aspect et pour un certain nombre de raisons, Bérénice est ce qu’on peut appeler une œuvre considérable. Premièrement la musique n’en est pas vulgaire, ni même banale. Dédaigneux de la facilité, M. Albéric Magnard n’a pas moins horreur de la bassesse. Son art est pur aussi de la sensualité, pour ne pas dire davantage, qui, dans quelques partitions modernes (deux exactement), s’est donné carrière. Bérénice enfin n’a rien de frelaté ni d’artificiel. Vous y trouverez une entière bonne foi ; non seulement aucun mensonge, mais nulle recherche vaine. L’auteur n’appartient pas à l’école du charlatanisme sonore. Tout cela ne vaut-il pas l’hommage, par nous présenté tout d’abord, de notre parfaite considération ? Et la noblesse, que nous allions oublier ! Telle serait pourtant la vertu principale et la vraiment « éminente dignité » de l’œuvre, si nous en croyons ceux qui paraissent le mieux l’entendre et l’admirer le plus congrûment. Il leur arrive bien, — à quelques-uns du moins, et tout bas, — d’ajouter que cette noblesse est peut-être dans l’intention plutôt encore que dans l’exécution. « Nous n’égalons jamais nos pensées, » a dit Bossuet. Ainsi l’artiste n’aurait pas rempli tout son dessein, réalisé tout son idéal. En d’autres termes, on aperçoit, d’un peu loin, ce qu’il veut dire, — et c’est quelque chose de noble, — mais il ne le dit pas. Ainsi nous sommes un certain nombre, le plus grand nombre même, capables de concevoir, ou d’imaginer, ou de rêver des symphonies et des drames lyriques, auprès de quoi celles et ceux des Beethoven et des Wagner ne seraient que jeux de petits enfans. Tout notre malheur vient de ne les pouvoir écrire et de ce que notre main ne suit pas notre pensée ou ne lui répond pas.