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désobligeant. Pourquoi donc l’auteur a-t-il imaginé cette intrigue sentimentale, celle-là plutôt que toute autre, et pourquoi, en la plaçant au début de la pièce, lui a-t-il donné cette importance ? Il n’est pas possible qu’un dramaturge aussi expert que M. Bernstein l’ait fait sans dessein et sans une espèce de nécessité. Nous verrons bien.

Voici maintenant poindre et se dessiner le drame. Un sénateur, du nom de Frépeau, rallié à la politique de Mérital et directeur d’un grand journal qui est comme l’organe officiel du « parti social, » arrive affairé, mystérieux et ému. Dans une feuille de chantage, le Stentor, vient de paraître un article de diffamation signé Marc Lebel. On y raconte tout au long une vieille et scandaleuse histoire dont Mérital serait le triste héros. Jadis, clerc d’avoué à Grenoble, il aurait volé son patron, qui l’aurait chassé en dédaignant de le poursuivre en justice. Ne pas relever l’accusation, pour Mérital ce serait avouer. D’ailleurs Frépeau a déjà, le matin même, annoncé à ses lecteurs que la pleine lumière serait faite… Et à mesure que parle ce personnage onctueux et cauteleux, peu à peu découvrant son jeu, nous devinons une de ces traîtrises si fréquentes dans la vie politique. Frépeau aspire à remplacer Mérital comme chef de parti : c’est lui qui a placé sous ses pas cette pelure d’orange. Histoire exhumée, ou racontar fabriqué de toutes pièces ? Nous ne savons pas encore. Mais Basile connaissait le monde politique de son temps et de tous les temps ; et il a dit : « Calomniez ! calomniez ! Il en reste toujours quelque chose. »

La visite de Frépeau a duré que quelques instans, juste ce qu’il fallait pour ficher dans le dos de l’adversaire la lame empoisonnée. A ses enfans qui le questionnent, Mérital annonce que l’heure décisive a sonné pour lui, cette heure dont, à mesure que grandissait sa fortune politique, il sentait l’approche inévitable. C’est ici la « théorie » de l’Assaut, l’idée mère qu’aujourd’hui encore on aime à résumer dans un couplet de facture, comme au temps des « pêches à quinze sous » et du « vibrion. » L’homme qui se distingue par son talent et son audace, commence par recueillir des encouragemens, et les appuis ne lui manquent pas. Il est une force et on espère s’en servir. Mais qu’il ait l’indiscrétion de dépasser un certain niveau ; que cette force devienne une menace ; aussitôt il verra se coaliser les jalousies, les rancunes, les égoïsmes, les intérêts. Cette armée obscure, anonyme et disciplinée lui donnera l’assaut. Alors il faudra vaincre ou succomber. Il en est ainsi dans la vie politique, et, à quelques différences près, partout ailleurs. Seulement, quand on sort victorieux de la