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bien des travaux d’une autre nature que les vôtres ! Sans ces efforts-là, votre machine ne serait plus que de la ferraille. Supposons néanmoins qu’à force d’en avoir forgé, surveillé, ajusté, fait manœuvrer toutes les pièces, vous soyez arrivés à pouvoir les construire à vous seuls. Vous remercierez donc plus ou moins poliment les ingénieurs d’hier, comme les capitalistes et les entrepreneurs, et vous parviendrez à livrer la locomotive d’aujourd’hui. Soit ! Mais celle de demain, — qui est inévitable — qui vous la donnera ? Ne savez-vous pas qu’elle devra sortir de quelque grimoire algébrique ? Ne savez-vous pas qu’elle résumera des centaines d’ébauches où se seront usés des travailleurs du cerveau ? Ne savez-vous pas que des constructeurs, des électriciens, des chimistes… que peut-on savoir encore ?… auront dû y collaborer sans peut-être s’en douter ? Mais ce n’est pas tout. Pour solliciter et pour encourager ces derniers, il aura fallu que les relations aient été multipliées, non seulement entre les provinces, mais entre les peuples ; et ici, c’est la civilisation tout entière qui aura donné, avec ses énergies conquérantes, avec les théories de ses économistes, avec l’éloquence de ses hommes d’Etat, avec les aspirations généreuses de ses apôtres, avec la séduction de ses littérateurs et de ses artistes qui, par-delà la beauté de leurs œuvres, font aimer celles de la nature, leurs modèles ! Certes, il arrive à cette élite d’être téméraire, parce qu’elle perd quelquefois le contact avec la réalité pratique : c’est pourquoi il faut toujours lui souhaiter le contrepoids d’élites professionnelles attachées à leur travail quotidien, le connaissant, l’aimant, en étant fières et y trouvant l’indépendance ; mais il est évident que les deux sont nécessaires : la société ne peut, pas plus se passer de l’une que de l’autre.

Si cela est, il faut bien donner à l’une comme à l’autre des moyens de se former. Or, ces moyens ne peuvent pas être les mêmes. Autant l’attention de la première doit être dirigée vers ce qui est immédiatement à sa portée et la sollicite à une tâche spéciale, autant celle de la seconde doit se placer dans le large courant de cette civilisation, dont elle doit élever de plus en plus le niveau pour en mieux répandre l’action fécondante et rénovatrice. C’est dire qu’il lui faut une discipline plus libéralement ouverte et toutefois dirigée par des méthodes qui l’empêchent de s’égarer. Le premier instrument qu’il faut lui forger et qu’il faut lui apprendre à bien manier, c’est la langue,