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M. de Freycinet et ses camarades allèrent, avec l’aide de la Garde nationale, maintenir, à la gare Montparnasse, la circulation des trains pour sauvegarder l’approvisionnement de la ville, puis, regagnèrent l’Ecole. Le jeune polytechnicien, à la suite de sérieuses fatigues, dut rester à l’infirmerie pendant trois semaines. Il n’en fut pas moins très satisfait d’avoir collaboré, dans la mesure de ses forces, au maintien de l’ordre matériel, et résolut d’attendre les événemens, non plus en acteur, mais en spectateur intéressé.

Le long duel qui s’établit entre les représentans de la nation et le prince Napoléon le passionna. Profitant du courant de réaction qui s’était établi, après les scènes révolutionnaires du 15 Mai et des journées de Juin, le prince obtint cinq millions et demi de suffrages comme président, tandis que Cavaignac en recueillait à peine quinze cent mille. La date du 10 décembre 1848 devenait une date mémorable. Le nouveau Président, qui savait où il allait, procéda avec des ménagemens infinis, et son air placide trompa tout le monde. Nul alors ne lui supposait d’arrière-pensée. L’Assemblée Législative, par son imprévoyance et ses indécisions, par l’insécurité de sa politique, facilita le Coup d’Etat, si bien que le plus grand nombre en était arrivé à voir dans le prince-président le véritable défenseur de la Constitution. L’Assemblée, confiante dans la célèbre parole de Changarnier : « Mandataires de la France, délibérez en paix ! » allait au-devant de sa chute en répétant le mot de tous les imprudens : « Il n’oserait ! » Et le 2 décembre, Paris se réveilla dans le décor d’un coup d’Etat. L’Assemblée était dissoute, le suffrage universel rétabli, le peuple français envoyé dans ses comices du 14 au 31 décembre, l’état de siège proclamé dans la 1re division militaire. Après avoir parcouru les affiches qui promettaient aux Français la défense de la famille, de la propriété, de la religion et de l’ordre, et les invitaient à approuver la conduite du Président qui, comme l’avait dit Talleyrand au nom du Directoire, au 18 fructidor, était « sorti de la légalité pour rentrer dans le droit, » les passans reprenaient leur chemin sans oser émettre de réflexions. « Quelques-uns, dit M. de Freycinet, qui assistait à toutes ces scènes, paraissaient contenir leur colère. D’autres, plus nombreux, réprimaient un sourire. J’ai entendu des ouvriers murmurer entre eux : « C’est bien fait ! » L’Assemblée avait lassé la patience du pays. D’ailleurs, la forme