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M. de Freycinet assistera à un avènement de régime aussi peu solennel.

En compagnie de son camarade Greil, M. de Freycinet essaya de faire démolir les barricades des sixième et septième arrondissemens, mais n’obtint des insurgés méfians que l’ouverture de brèches suffisantes pour le passage des voitures. Le lendemain, il revint harassé à l’Hôtel de Ville, rendit compte de sa mission à Marie et fut chargé de veiller à l’installation du nouveau ministre de la Guerre, le général Subervie, rue Saint-Dominique. Puis, il rentra à l’Hôtel de Ville, où un curieux spectacle l’attendait : « Un des membres du Gouvernement provisoire se penchait à une croisée, avec une poignée d’exemplaires du décret qui sortait des presses. Il en donnait lecture et répandait les exemplaires sur la foule. Les feuilles s’envolaient au gré du vent et allaient porter plus ou moins loin la parole du souverain qui souvent, hélas ! était le serviteur, car beaucoup de ces décrets avaient pour objet de satisfaire aux demandes impérieuses des Délégations. Garnier-Pagès excellait à ces sortes de communications où il dépensait sa santé. Sous des apparences plutôt frêles, il développait un volume de voix extraordinaire. Monté sur une chaise et le corps à moitié en dehors de la croisée, et retenu dans cette position périlleuse par deux robustes gardes nationaux, il se faisait entendre aux quatre coins de la place. »

Le 31 octobre 1870, dans le même Hôtel de Ville, le même Garnier-Pagès ne jouissait plus de cette popularité. Bloqué dans la salle de Conseil avec la plupart de ses collègues, il se lamentait contre l’insurrection odieuse qui osait, devant l’ennemi, mettre la main sur le gouvernement. À ce moment, un gamin audacieux, qui s’était faufilé dans la salle, prit une carafe et en vidant une partie dans l’immense faux-col que portait habituellement Garnier-Pagès, cria : » Eh ! va donc ! vieux pot de fleurs ! » Le mot et le geste furent si drôles que, malgré la gravité de la situation, Trochu et Jules Simon ne purent s’empêcher de sourire. C’est dans les momens les plus critiques que surgit parfois une scène comique inattendue. On pourrait en citer de nombreuses, même au milieu des épisodes les plus tragiques de la Révolution.

M. de Freycinet eut l’heureuse chance d’assister à l’intervention admirable de Lamartine devant le drapeau rouge. On